Entretien, deuxième partie. Après avoir été joueur à Rennes de 1987 à 1999, Laurent Huard est retourné au club en 2003 en tant qu'éducateur au centre de formation. Il nous raconte comment le Stade rennais a évolué depuis toutes ces années et se construit, et s'exprime également sur la façon dont il voit sa carrière d'entraîneur.
Stade Rennais Online : Vous êtes arrivés au Stade rennais à l’époque du « Qu’est-ce qui est Rouge et Noir, qui monte et qui descend »...
Laurent Huard : « Moi je suis arrivé au club pour la formation en 1987, et j’ai commencé à jouer pour le club dès 1990. C’était la dernière année de Kéruzoré. J’ai connu le club qui monte et qui descend, d’ailleurs on devait descendre en 1990 et finalement on a été repêchés... Il y a eu quelques années comme ça où on devait descendre et puis on se maintenait. En fait de 1990 à 1992 j’ai joué en D1, à l’époque, puis de 1992 à 1994 en D2, puis on est remontés en 1994 il y a vingt ans. J’ai vécu les vingt ans depuis la remontée. »
Qu’est-ce qui a changé au Stade Rennais sur ces vingt ans, où le club a changé de dimension ?
« C’est énorme. En même temps le football a changé et évolué aussi, mais le club a su changer et évoluer rapidement en même temps. Il a gagné quelques places dans la hiérarchie du football. Il fait partie des clubs qui sont structurés, qui ont un avenir, qui sont cohérents. C’est cohérent. On arrive à lutter un peu plus contre les tempêtes, mais aussi à ne pas s’enflammer quand ça se passe bien.
Tout a évolué : le stade a évolué, le centre d’entraînement a évolué, en fait ce n’est pas comparable ! Mais ça a grandi à échelle humaine, ça n’a pas été d’un coup quelqu’un qui arrive et change tout... Même si on dit qu’on a un gros financier derrière nous, ça s’est fait au fur et à mesure, les investissements ont été faits les uns après les autres.
Encore aujourd’hui nous on est toujours demandeurs en termes matériels, on voudrait un terrain, etc. mais chaque chose est faite et on nous dit cette année c’est ça qui est budgétisé. Il y a vraiment un bel outil de travail. Tout a grandi en même temps pour le recrutement, le centre de formation, avec plus d’éducateurs, des éducateurs qui ont pris de l’expérience, certains qui sont partis et d’autres qui sont arrivés, des relais qui se sont bien effectués. Il y a des bases solides. Ce n’est pas juste quelque chose qui monte et qui peut vite s’écrouler. »
Dans la hiérarchie des clubs français, où situez-vous le Stade rennais ?
« En termes de structures, on est dans les 12 meilleurs clubs français je dirais. »
Quand on est supporter rennais on se fait souvent chambrer sur la légendaire « lose à la rennaise ». On a l’impression que le club a grandi mais que quand il faut franchir un nouveau palier, gagner un titre, se qualifier pour la Ligue des Champions, on rate toujours le coche, le petit détail qui fait la différence. Est-ce que ce sont les circonstances qui ont fait ça ou est-ce qu’il y a quelque chose de particulier à ce club ?
« Non, ces choses-là se sont passées sur un laps de temps assez réduit. Le club reste jeune. Il faut prendre du recul. C’est sûr que si on regarde, on est parmi les dix premiers, pourquoi nous on n’aurait pas droit d’avoir quelque chose au bout ? Parce que les dix ou douze clubs qui sont parmi les premiers ils ont tous eu quelque chose... Mais pour ceux qui ont connu le club des années 70, des années 80, même jusqu’en 1994 où on remonte en ligue 1, voire même 1998, jusque-là on fait partie des clubs lambdas.
C’est depuis les années 2000, ça fait dix ans, que le club construit et pose des couches les unes après les autres. Alors c’est sûr on pourrait construire plusieurs étages et avoir la belle vue, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain.
Il faut se mettre de l’autre côté : il y a beaucoup de clubs qui voudraient être à notre place, et aller jusqu’où on est allés. C’est sûr on a été quatrièmes et pas troisièmes, on est allés en finale et on n’a pas gagné. Mais je préfère voir le verre à moitié plein que le verre à moitié vide. »
Donc en fait, au vu du projet qui se construit depuis toutes ces années, c’est plutôt une question de patience.
« Oui voilà, c’est une question de patience. On souhaite tous le vivre le plus tôt possible. »
L’équipe professionnelle est sur une saison assez irrégulière pour le moment, même si on sort d’une belle victoire à Nantes [NDLR : entretien réalisé avant le match de Guingamp]. Qu’est-ce qui lui manque le plus : de la régularité, du talent, du collectif... On voit qu’on n’est pas très loin parfois ?
« Je ne vais pas inventer quelque chose et je vais donc redire ce que dit Philippe [Montanier] : il y a tout qui redémarre. On parlait tout à l’heure des jeunes de 1994, on voulait que Philippe puisse les voir en début de saison mais ils sont un peu jeunes et on ne s’attendait pas à ce que ça aille aussi vite, d’autant plus pour tous les quatre [NDLR : Hountondji, Moreira, Hunou, Bakayoko], voire tous les cinq [NDLR : en comptant Allée, voire Saïd]. Même eux ne s’attendaient pas à ce que ça aille aussi vite. Ils sont jeunes, ils découvrent. D’autres joueurs arrivent qui découvrent aussi. Et même le coach arrive, découvre le club, découvre les joueurs. Après Philippe a été déçu sur deux ou trois matchs sur lesquels la générosité et l’abnégation n’avaient pas été suffisantes à son goût, mais à part sur ces deux ou trois matchs là on en est là où est le niveau du club. »
C’est donc une saison de transition ?
« Oui, plutôt de construction. On construit et l’objectif c’est de récolter quelque chose derrière. »
Il y a quelques jours, c’était Rennes-Guingamp, et sur le banc de l’EAG, il y a Jocelyn Gourvennec avec qui vous avez joué plusieurs années. Est-ce que vous vous voyez aussi à court ou moyen terme sur un banc de L1 ?
« Jocelyn a eu un parcours différent et dès qu’il a arrêté il a entraîné des groupes « adultes », d’abord en DH à La Roche-sur-Yon puis ensuite il a été sollicité par Guingamp, mais je pense qu’il avait fait son choix aussitôt. Moi j’ai fait plus un choix d’apprendre avec la formation, même si je commence à avoir un peu d’expérience le but c’est aussi de profiter de cette expérience avec la formation.
Dans la même ligne j’en ai profité pour passer mes diplômes : après le diplôme de formateur j’ai passé le diplôme d’entraîneur professionnel. Par expérience certains entraîneurs, [Christophe] Galtier par exemple, m’avaient conseillé de passer directement les diplômes pour ne pas se retrouver dans la situation de devoir poursuivre la formation pendant la prise de poste dans un club. C’est bien car la Fédération exige une grosse charge de travail. Philippe aussi avait eu à gérer ça à Boulogne. Donc voilà j’ai validé le DEPF.
Après l’histoire d’une carrière de joueur ou d’entraîneur fait qu’il est difficile d’avoir des projets à long terme. L’idée c’est d’avoir les outils, de la formation, où je commence à avoir du vécu dans un club formateur avec de très bons jeunes, ce qui est encore plus valorisant. Sinon j’ai seulement l’outil du diplôme et de la formation des jeunes, mais l’expérience je ne l’ai pas. C’est encore un autre métier d’être entraîneur d’une équipe professionnelle. »
C’est un peu tôt donc ?
« C’est jamais trop tôt ou trop tard. Je ne me projette pas vraiment à long terme, plutôt à court terme sur ce qu’il y a à faire. Je m’éclate dans ce que je fais et j’ai l’impression que le club aussi est satisfait de ce que l’on fait du groupe Espoirs, donc tout le monde en ressort gagnant.
Après c’est souvent quand il y a maldonne que l’on peut prendre un nouveau virage. Moi je n’ai l’expérience que de la carrière de joueur pour comparer : par exemple j’étais ici jusqu’en 1997-1998 et en 1998-1999 avec Paul Le Guen je sens qu’il y a d’autres joueurs qui arrivent, d’autres milieux de terrain qui arrivent, que moi j’ai 26 ans et qu’il est temps d’aller voir ailleurs et je suis parti à Sedan. Même si l’on voit à court terme il ne faut pas se buter non plus : si on voit que la route se ferme il faut être capable d’en prendre une autre, Sedan c’était un petit club qui montait et c’était aussi très intéressant...
Il faut être capable de changer mais pour l’instant je sens que la route que j’ai prise est droite, je m’éclate, j’ai les moyens pour bien travailler. Mais je sais que si ça change j’ai cet outil là de diplômes et de qualifications et je pourrai le prendre. »
Donc pas de changement par exemple pour la saison prochaine ?
« Non non, pas de changement, je suis sous contrat. Après ça, si la route se ferme, je n’irai pas contre le mur ! »
Ça ne doit pas être facile de gérer la carrière quand on est entraîneur, on a l’impression que l’avenir peut changer d’un coup
« Le contrat de joueur est un peu plus respecté que les contrats d’entraîneurs. Après je ne me considère pas comme entraîneur, mais comme entraîneur-formateur et il y a quand même un [plus grand] respect du contrat. »
Est-ce qu’il y a des entraîneurs qui vous servent de référence dans votre métier, que vous auriez connu comme joueur ou parmi les prédécesseurs de Philippe Montanier ?
« Non, en fin de compte on se construit tout seul. Après il y a des choses qu’on emprunte, je ne sais plus qui disait que le meilleur entraîneur c’est le plus grand voleur d’idées [NDLR : Il s’agit de Fabio Capello]. C’est en fait toujours un échange sans que je puisse dire que c’est à lui ou à lui que j’ai pris telle idée, là ce serait plus un copier-coller et chacun a sa personnalité. Il faut être voleur d’idées mais après c’est ta personnalité. Si tu essaies de jouer un personnage que tu ne maîtrises pas après ce n’est pas toi. »
Qu’est-ce que vous avez alors comme idées volées à Keruzoré, Michel Le Millinaire, etc. ?
« C’est plus dans leur caractère. Raymond Kéruzoré était dans la protection de ses joueurs. Il les protégeait tellement... presque trop parfois. Il partait à la guerre contre les journalistes, alors qu’il n’y en avait pas autant que maintenant. Maintenant avec tous les médias qu’il y a ce serait difficile... Michel Le Millinaire était très pédagogue, c’était le professeur qui arrivait à passer auprès de nous qui étions des gamins, avec un Sylvain Wiltord qui arrivait des quartiers, et puis auprès d’un Michel Sorin qui était quinze ans plus vieux. C’était une capacité d’adaptation en communiquant avec chacun, c’était impressionnant.
Après il y a eu des entraîneurs avec une âme de formateur comme Guy Lacombe ou Frédéric Antonetti. Tous ont leur personnalité. Guy Lacombe avait pris des trucs de Nantes, de Suaudeau, par exemple. »
Cela dépend aussi des générations de joueurs qui étaient là, de leurs qualités.
« Toutes les personnalités sont différentes. Les joueurs viennent tellement d’horizons différents qu’il faut s’ouvrir. Le carcan qu’il y avait sur nos générations où on avait tous presque la même éducation, le même cursus familial... tout cela s’est très très ouvert et il faut s’adapter. Donc l’idée qui fonctionnait il y a dix ans peut-être qu’elle ne peut plus fonctionner maintenant.
En plus dans notre fonctionnement le groupe de joueur change tous les ans, tous les deux ans. Donc c’est une richesse aussi, il faut s’adapter. Nos exercices par exemple ne sont pas les mêmes maintenant qu’il y a trois ans ou quatre ans parce que les joueurs ont changé, le football a changé, il faut toujours être en recherche : comment sera le football dans quelques années ? Quel joueur cela peut devenir dans quelques années ? »
Est-ce que vous essayez de vous adapter à la tactique mise en place dans l’équipe première pour faciliter les passerelles et les transitions ?
« Oui, c’est la contrainte que je me donne. Ce n’est pas le coach qui me l’a demandé mais je m’y oblige pour qu’il y ait une prise de repères, notamment sur les coups de pieds arrêtés ou le jeu au milieu. Après sur le milieu à trois joueurs on joue parfois à deux défensifs mais le coach lui aussi change de temps en temps son système. Et puis ça dépend des joueurs, par exemple en Gambardella avec les joueurs qu’il y a au milieu cela ressemble parfois à un système à deux attaquants avec Wesley Saïd et Maxime Fleury, même si Wesley revient plus travailler au milieu. En réserve on s’y efforce un peu plus, notamment pour les jeunes joueurs qui redescendent des pros, pour qu’ils aient un peu plus de confiance en eux et de repères. »
Remerciements : À Laurent Huard pour son accueil et sa disponibilité, à Morgane et Gwen du Stade Rennais Football Club pour leur relai efficace.
Relisez la première partie de l’entretien :
Laurent Huard : « Le club fait en sorte que le groupe Espoirs vive proche des pros »
Louis G
13 mars 2014 à 15h03Beaucoup de sérénité chez Laurent Huard !...pour lui le Stade Rennais se trouve dans les 10 meilleurs Clubs de Ligue1 alors que nous les supporters nous sommes depuis quelques semaines à regarder comment évoluent ceux du bas du classement !!...je ne demande qu’à le croire mais il faut que cela se concrétise au plus vite sur le terrain...décidément comme l’a dit un jour l’entraineur nous ne sommes pas dans un Club qui a la culture du maintien !!...attention à trop de condescendance ; nous n’arrivons pas à gagner contre les derniers : le verdict contre les premiers... c’est pour bientôt !!...
vincent
13 mars 2014 à 18h26Laurent Huard na pas montré grand chose en tant qu entraineur et en tant que joueur....
Il a fait descendre la CFA en CFA 2 et il n a pas su la faire remonter l ’année suivante.
Il a pourtant régulièrement une quasi équipe de ligue 1 a sa disposition pour afronter des équipes comme Sablé sur Sarthe...
Ola35
13 mars 2014 à 19h32En disant ici que le Stade est dans le top 10 français, Huard ne prend pas compte du classement actuel ou de l’effectif de cette saison, mais plutôt des infrastructures du club, ce qui est totalement différent.
En tout cas, c’est une interview en deux parties très intéressante à lire.
Bergkamp : « L’équipe première doit gagner. Les équipes de jeunes non. Elles doivent seulement faire progresser leurs joueurs »
Voilà la phrase qui définit le mieux la formation et le rôle d’un entraîneur-formateur, et qui s’approprie bien à cette interview.
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