PORTRAIT - Lovro Majer : l’oeil de Zagreb

Arrivé cet été en France pour sa première expérience à l’étranger, Lovro Majer a connu hier soir sa première titularisation avec le Stade rennais. Avec 186 minutes au compteur depuis le 29 août, les supporters rennais n’ont que peu vu leur nouveau milieu de terrain. Stade Rennais Online est donc allé demander en Croatie à ceux qui l’ont connu de raconter Lovro. Et à Zagreb, le joueur de 23 ans est loin d’être un inconnu.

L’important, c’est de prendre son temps. A 23 ans, Lovro Majer a pris cet été la décision de quitter son cocon croate pour tenter l’aventure à l’étranger. La capitale de son pays, le joueur la connait par cœur, ayant évolué dans plusieurs de ses formations. Intégré rapidement chez les jeunes du Dinamo, le club phare de la ville, c’est pourtant au Lokomotiv que Lovro rebondit et perce en professionnel. Génération 1998 oblige, c’est sur Youtube que le phénomène se fait d’abord voir, et fait admirer sa technique. Probablement par nostalgie, Majer n’a d’ailleurs jamais effacé ces publications de son compte Instagram, mosaïque du parcours du jeune joueur qu’il est encore. Au Lokomotiv, Majer perce en professionnel en 2016, avant d’exploser lors de sa seconde et dernière saison au club, en 2017-2018. A cette époque, Mathias Chago intègre l’effectif et déjà, reste bluffé. « C’était un gamin très poli, travailleur, bosseur. Il avait déjà un énorme talent, c’était pratiquement le joueur qui portait l’équipe sur son dos. » confie l’ancien milieu de terrain, aujourd’hui retraité. « Il avait déjà un statut de leader, il était déjà au-dessus de toute l’équipe, physiquement, tactiquement et techniquement. Il tirait tous les coups de pieds arrêtés. »

Il faut dire que l’attraction Majer fait grand bruit à Zagreb, depuis plusieurs années à l’époque. Comparé à Luka Modric qu’il admire plus jeune, Lovro constate les attentes grandissantes autour de lui, sans prendre le melon. « Il est impeccable, il n’a jamais eu de problèmes avec qui que ce soit au Lokomotiv ou au Dinamo. C’est un vrai bon garçon. » continue Chago, qui se souvient. « Je lui disais que c’était bien d’être un gentil garçon dans le vestiaire et hors du terrain, mais qu’il ne fallait pas l’être sur la pelouse. (rires) Il a parfois tendance à être trop gentil. »

Zagreb en long et en large

Car Lovro Majer, c’est avant tout un toucher de balle, une allure, une façon de mener le ballon rappelant les numéros 10 à l’ancienne. Les spectateurs du Roazhon Park ont encore pu le constater hier soir face au NS Mura (victoire 1-0), Majer a pour lui son aisance technique, et une belle efficacité sur coup de pied arrêté symbolisée par ses deux passes décisives face à Strasbourg (corner trouvant la tête de Nayef Aguerd), puis Mura (coup franc placé sur la tête de Loïc Badé). En 2018, Majer décide donc de franchir un pallier et de revenir dans son premier club, la référence croate, le Dinamo Zagreb. Un choix « inévitable » pour Chago, le Lokomotiv vivant du développement des jeunes grâce auxquels des indemnités de transfert sont décrochées. De plus gros chèques auraient d’ailleurs pu être signés de la part de clubs étrangers déjà sur le coup, mais Majer choisit de poursuivre à Zagreb.

Lorsqu’il débute au Dinamo cependant, des blessures à répétition freinent son intégration, quand ce n’est pas par la suite le coach en place Nenad Bjelica, l’utilisant davantage comme un joker de luxe. En avril 2020, en pleine pandémie mondiale, le Dinamo se sépare de son coach et fait appel à Igor Jovicevic, vieille connaissance de Majer, dont le fils ainé a été le coéquipier et compagnon de chambre au Lokomotiv, chez les jeunes. « Mon fils Filip ne faisait que de me dire qu’il était incroyable. Mon père était aussi entraîneur chez les jeunes, et son talent était déjà connu en Croatie, depuis le début. Ce n’est pas nouveau. » confie celui qui est aujourd’hui coach au Dnipro-1, en Ukraine. Contraint de s’entraîner dans des conditions difficiles liées au contexte sanitaire, Jovicevic sait pourtant ce qu’il a entre les mains. « Ses qualités sont incroyables. Face aux défenseurs et au gardien, il est imprévisible. Avec son pied gauche, il peut trouver des lignes de passe que personne ne voit, il peut marquer car il a une bonne frappe. Avec le temps, il veut davantage marquer. » confie le coach qui tout comme Mathias Chago du temps du Lokomotiv se satisfait d’un joueur au bon cardio, capable d’enchainer facilement les matchs à 12-13km de course. Lovro a l’œil, et le bon, mais aussi les poumons pour s’en servir.

Les pépins derrière lui comme la crise du Covid-19, Majer devient le joueur qu’on voit en lui la saison dernière. Avec 49 rencontres pour 11 buts et 14 passes décisives, l’international espoirs au « très très bon pied gauche » dixit Chago se montre décisif en réalisant la meilleure saison de sa carrière, une satisfaction pour Jovicevic. « A un moment, j’ai eu une discussion avec lui, et j’ai été honnête. Je voulais qu’il soit plus dangereux dans la surface. Au Lokomotiv il était le meilleur mais il couvrait tout le terrain. Il jouait où il voulait. Mais au Dinamo il a dû s’adapter au fait qu’il faut respecter des zones. J’ai insisté sur le fait qu’il devait être plus proche de la surface, pour être dangereux. Quand j’ai quitté le Dinamo peu après cette discussion, j’ai pu constater qu’il était plus décisif, et marquait davantage. Si cette discussion a pu lui servir pour sa carrière, j’en suis heureux ! »

Le Majer possible

La rigueur tactique n’est pas forcément facile à avaler pour un joueur d’instinct. Heureusement pour ses ainés, Majer est une personnalité facile. « Il est concentré, focus. Ce n’est pas un homme qui parle beaucoup. Il a la volonté d’être meilleur chaque jour. Il est très curieux. Après tous les matchs, et tous les entraînements, il s’analyse à la vidéo pour voir comment s’améliorer. Il veut tout faire pour être meilleur, en tant qu’homme et en tant que joueur. » confie Igor Jovicevic à propos d’un joueur d’extérieur impassible, d’un homme de peu de mots. Mais alors, où Majer va t-il bien pouvoir s’incorporer dans le onze de Genesio ? D’abord entré en jeu sur les ailes, il était hier face à Mura placé devant la défense, dans les deux du milieu de terrain du 4-4-2, au côté de Baptiste Santamaria puis Flavien Tait. Utilisé majoritairement en numéro 10 au Dinamo Zagreb, pour Jovicevic pas de doute, il lui faut un joueur lui permettant de se projeter vers l’avant et monter d’un cran, s’il reste à ce poste de milieu récupérateur. Mais pour le technicien, la clé reste pour Majer « d’occuper les bons espaces pour que son talent soit utile pour l’équipe. » Pour que sa vista parle pour lui.

Il est encore trop tôt pour juger Lovro Majer au Stade rennais, mais de Croatie, on s’accorde à dire que le meneur a fait le bon choix en rejoignant la Bretagne et sa Ligue 1, jugée là-bas comme un championnat très physique. Courtisé par l’Olympique de Marseille l’hiver dernier, Majer aurait également pu s’engager dans d’autres championnats. Avant cela, comme son ancien coéquipier Dani Olmo parti au RB Leipzig, Lovro s’est aguerri au Dinamo Zagreb, grâce à plus de 100 matchs avant de quitter le club marqué par le départ récent du coach Zoran Mamic, condamné pour fraude.

Débarrassé de sa contusion à la hanche l’ayant privé d’un mois de compétition, Majer peut désormais se concentrer sur le SRFC et monter en puissance. « Je suis vraiment heureux. Je ne m’attendais pas à ce que l’équipe soit si gentille. Le staff, le coach, le club est familial, et je ne m’y attendais pas, je suis agréablement surpris. C’est je pense une des raisons pour lesquelles on joue si bien. Je suis très heureux ici. Les joueurs m’aident beaucoup, on est sortis ensemble hors du club, j’apprends le français, j’espère que d’ici quelques mois je pourrai vous parler un peu en français. » confiait-il après la victoire face à Strasbourg le 24 octobre. « C’était le moment de quitter Zagreb, j’y ai été toute ma vie. J’avais besoin d’un changement pour ma vie, ma carrière. C’est la parfaite étape suivante. » Arrivé seul et bientôt rejoint par sa compagne, Lovro Majer aborde à 23 ans l’un des tournants de sa carrière. Et une chose est sûre ; à Rennes ou ailleurs, Zagreb gardera toujours un œil sur son prodige.

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