Interview, 2ème partie. À quelques jours du derby qui opposera deux de ses anciens clubs, Michel Sorin revient sur les raisons qui l'ont emmené à quitter le Stade Rennais au moment de la venue de Guy Lacombe, sur son expérience à la tête de la sélection du Bénin et sur le projet qu'il tente de mettre en place à l'AS Vitré, en CFA2.
SRO : Il y a un moment précis de votre carrière que vous conservez plus qu’un autre ?
- M.S. : « Un seul ? (longue réflexion) C’est quand même la coupe d’Europe avec le Stade Lavallois en 1983, notamment ce dernier match contre l’Austria Vienne. Quand à cinq minutes de la fin, tous les gens présents vous disent "merci", pffff... Ah oui ! C’est celui-ci, même si j’ai connu de belles montées avec le Stade Brestois ou le Stade Rennais. Ce sont des moments indescriptibles. Je me rappelle aussi de ce match face à Auxerre, celui où Laurent Huard marque ce but d’une frappe lobée. Mais je vais vous avouer une chose, on avait payé Bruno Martini ce jour-là (rires). Moi, vous savez, j’ai fait du football pour connaître des moments comme ça, à l’image de celui d’une finale de championnat d’entreprises que j’avais disputé avec les Municipaux de Rennes. Ce match-là, malgré la déception de la défaite, me restera toujours dans l’esprit. Et pourtant, j’ai passé un moment complètement différent de ce que j’avais connu dans le passé mais c’était vraiment particulier. Il y en a eu aussi avec l’US Saint-Malo : notre parcours en Coupe de France où on avait joué l’Olympique Lyonnais, champion de France en titre (0-6, janvier 2002). On avait joué au stade de la route de Lorient, sur un terrain gelé. Il n’y a que le football qui nous permet de vivre des choses comme ça. C’est ce que l’on se dit souvent lorsque je retrouve des anciens partenaires. Faire vibrer du monde, en les rendant heureux, c’est unique ! »
SRO : Y-a-t-il un entraîneur qui vous a donné l’envie de faire le même métier ?
- M.S. : « J’ai rencontré de très bons entraîneurs durant mon parcours de joueur, parce que tous m’ont apporté quelque chose. Et étonnamment, c’est peut-être celui qui me connaissait le moins qui me demandait toujours quelque chose. Avec Didier Notheaux (entraîneur du Stade Rennais entre 1991 et 1993, ndlr), vu que j’étais le capitaine de l’équipe, on parlait beaucoup sur le plan tactique. J’étais aussi celui qui était le plus âgé, cela me permettait d’apprendre et j’étais vraiment passionné par ce qu’il faisait. Je n’avais pas connu ça avec d’autres entraîneurs. Pourtant, je lui avais dit que c’était peut-être trop cadré au niveau tactique, mais cela m’a permis de compléter ce que j’avais fait auparavant avec Bernard Maligorne, Michel Le Milinaire et Raymond Kéruzoré, voire même Slavo Muslin. Je n’ai pas non plus la science infuse, c’est pour ça que je lis beaucoup les articles sur les entraîneurs, tout en prenant des notes. C’est un passage obligé pour rester en veille informationnelle. Quand on est entraîneur, il faut faire attention à ne pas s’enfermer dans une bulle, car on oublie souvent des choses primaires. On veut tellement bien faire que l’on oublie parfois les points essentiels. C’est pour ça que c’est bien de parler avec les gens, d’être entouré et surtout de partager. »
SRO : Vous en voulez à Guy Lacombe de ne pas vous avoir conservé dans son staff technique, alors que vous étiez présent dans le précédent ?
- M.S. : « Non, c’est la vie. Je ne me prends pas la tête avec ça. On a discuté ensemble (avec Guy Lacombe, ndlr), il voulait pourtant que je reste pour superviser les adversaires... Mais passer du groupe professionnel au recrutement, c’était sincèrement trop dur. En tant qu’adjoint, cela ne m’aurait pas dérangé de travailler avec lui parce que je connaissais le personnage qui, pour moi, était très intéressant. Quand on voyait ce qu’il faisait tactiquement, c’était vraiment bien. J’avais longuement discuté avec lui lors d’une réunion et j’en garde de bons souvenirs. Le problème, c’est que les gens ne connaissent pas les entraîneurs. Comme je vous le disais, ils sont dans leur bulle parce que l’on leur tape souvent dessus. Et à force, ces gens-là se recroquevillent sur eux-mêmes puisque dès que l’on dit quelque chose, cela va être interprété, disséqué... Plein d’entraîneurs voudraient que ça vive, qu’il y ait du plaisir, mais il y a tellement de choses autour qui bloquent. »
SRO : Vous avez été joueur, entraîneur de la réserve, adjoint de Vahid Halilhodžić puis Laszlo Bölöni. Vous n’aviez pas certaines attentes par rapport au Stade Rennais ? Michel Sorin à la tête du Stade Rennais, cela aurait pu être une suite logique...
- M.S. : « Je ne sais pas si tout le monde pensait comme vous. Pour moi, cela aurait été un rêve, le summum... Entraîner le Stade Rennais ce n’est d’abord pas permis à tout le monde, j’ai fait seize ans au club, cela fait vingt-trois ans ans qu’il y a un Sorin à Rennes. Je crois que si on me l’avait proposé, je n’aurais pas réfléchi longtemps. Mais je n’y crois pas. Quand je vois qu’à Paris, on a insinué qu’Antoine Kombouaré n’avait pas la stature, alors mettre Michel Sorin au Stade Rennais, ce n’est pas possible ! C’est le fait qu’il faut mettre des noms, des gens qui ont une expérience d’entraîneur de première division. Je ne pense pas que le club aurait pu tenter ce pari, à moins d’un gros problème. Un très gros problème même. Je ne suis pas quelqu’un qui rêve, mais c’est vrai que cela m’aurait plu. Après on ne sait pas ce que nous réserve la vie, je suis encore jeune (sourire). Si on m’avait dit un jour que je jouerai au Stade Rennais... Puis je suis parti une première fois de Rennes, et je suis revenu... »
SRO : Un an après votre départ de Rennes, vous vous retrouvez à la tête d’un club du championnat béninois, à savoir les Requins FC ? Un choix assez étonnant qui a surpris beaucoup de monde ?
- M.S. : « Je me suis aussi surpris (sourire). Je suis un peu fou parfois, j’aime ce genre de projet, faire des choses qui sortent un peu de l’ordinaire. Je travaille à l’instinct. Si ça me plaît j’y vais, et aujourd’hui je ne le regrette pas. Vivre ce que j’ai vécu au Bénin, c’était inespéré. Si je n’avais pas accepté ce challenge, j’aurais raté quelque chose dans ma vie. Ce fut enrichissant dans plusieurs domaines et j’ai pris beaucoup de plaisir dans mes différentes fonctions. »
SRO : Quelques mois plus tard, vous êtes nommé à la tête de l’équipe nationale du Bénin, en lieu et place de Michel Dussuyer, à un moment où le football béninois était un peu dans le trouble. Racontez nous.
- M.S. : « Rien ne fut simple puisque je n’avais pas le droit de prendre des gens qui jouaient en dehors du continent africain. J’étais surtout là pour superviser les joueurs du pays qui étaient susceptibles de rejoindre la sélection béninoise. J’ai visité pas mal de régions pour déterminer une sélection de quinze, seize joueurs locaux pour fournir un premier bilan. Le problème, c’est que je ne suis pas tombé au bon moment, il y avait beaucoup de conflits au sein des équipes dirigeantes du football béninois, donc c’est pour cela que je n’ai pas été conservé par la suite. »
SRO : La presse béninoise était très sévère avec vous, alors que l’ampleur de la tâche n’était pas simple ?
- M.S. : « On ne peut pas rentrer dans les détails, mais même là-bas il faut être solide. Après, je ne lisais pas la presse. Mais certaines personnes manipulaient tout ça. Et aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il n’y a plus de championnat professionnel au Bénin. Ils sont livrés à eux-mêmes. Même si, d’après ce que je sais, cela revient un peu à la normale. Tant que j’étais aux Requins FC, tout se passait bien, mais lorsque j’ai été intronisé au poste de sélectionneur, j’ai découvert les frictions entre le président de la Ligue et celui de la fédération. Ce dernier ne voulait pas de moi, donc c’était difficile de travailler dans ces conditions »
SRO : Comment jugez-vous le football béninois dans son ensemble ?
- M.S. : « J’étais à la tête d’une bonne équipe (les Requins FC) dans un championnat compliqué, du fait des entraînements et de la préparation. Quand je suis arrivé, il n’y avait plus de club, rien... J’avais un mois pour reconstruire une équipe (rires). Pour moi, le niveau de là-bas vaut largement le CFA2 en France et il y a des joueurs qui peuvent facilement évoluer en Ligue 2. Le bémol pour eux, ce sont les conditions de vie, les conditions d’entraînement... Les joueurs sont des otages parce qu’on leur promet beaucoup de choses et, en retour, ils n’ont rien... On avait un seul terrain d’entraînement pour six équipes. Ce n’est pas simple de trouver des créneaux pour s’entraîner, souvent sur des moitiés de terrain. Par conséquent, on ne peut pas être exigeant avec ces gens-là... Quand je raconte ça, personne ne percute tout de suite parce qu’ils ne l’ont pas vécu. Cette expérience m’a changé, il faut le vivre pour le croire. D’ailleurs, je suis toujours en relation avec eux, que ce soit les joueurs ou les entraîneurs que j’ai fréquentés. On a parfois du mal à se joindre dans la mesure où Internet ne passe très bien là-bas. »
SRO : Votre volonté, après votre départ de Rennes, était de rebondir dans un club breton. Votre nom avait circulé aussi du côté de l’US Saint-Malo avant que vous preniez finalement la direction de l’AS Vitré.
- M.S. : « J’avais aussi une grande envie de revenir dans la région pour des raisons familiales. J’ai eu la chance que certains postes se trouvent vacants au moment où je décide de revenir. Après, il a fallu faire un choix. L’AS Vitré, c’est un beau challenge, je connaissais un peu le club donc je n’arrivais pas en terre inconnue. Mais la décision s’est faite assez rapidement, car je ne voulais pas préparer la future saison au dernier moment. »
SRO : On le dit peu, mais c’est un club qui travaille très bien au niveau de la formation. Connaissant votre fibre de formateur, c’est un point qui a compté au moment de votre choix sachant que la formation n’est pas un vain mot à l’AS Vitré ?
- M.S. : « Pas du tout ! Après, je ne suis pas un formateur dans l’âme, je dirais que je suis plus un compétiteur dans l’âme. »
SRO : Depuis le début de la saison, l’AS Vitré réalise une belle saison, produisant un jeu de qualité. C’est la plus belle satisfaction pour un entraîneur ?
- M.S. : « Ce sont les joueurs qui le font avant tout. J’ai un groupe de qualité, mais d’un autre côté, le projet que j’avais en tête correspondait aussi aux joueurs que j’avais à ma disposition. Je n’ai pas eu à chercher longtemps, car j’avais les éléments pour faire le jeu que l’on pratique depuis le début de la saison. »
SRO : Vous avez frappé les esprits en Coupe de France contre Tours (L2, 1-2) en les malmenant du début à la fin.
- M.S. : « Ce n’est plus une surprise aujourd’hui de voir des clubs amateurs surprendre des formations professionnelles. Cinq équipes du groupe H de CFA2 étaient en trente-deuxièmes de finale de la Coupe de France (quatre en fait avec l’AS Vitré, La Montagnarde, Locminé et Sablé-sur-Sarthe, ndlr), ce qui montre bien la qualité de ce championnat. Les équipes qui cherchent à jouer sont capables de se sublimer sur un match et de battre n’importe qui. On n’aborde pas un match de Coupe de France comme on aborde un match de championnat. »
SRO : Il y a des choses qui ont évolué dans le football amateur. Contre Tours, par exemple, vous avez débuté avec deux attaquants, ce qui n’était pas forcément les cas ces dernières années lorsqu’un club amateur recevait des professionnels.
- M.S. : « Je me rends compte que si je décide de défendre derrière et que je gagne, tout le monde va me dire "Super, c’est bien joué". En revanche, si je perds, je me dirais au fond de moi "Mais j’ai rien tenté dans ce match, rien..." Je n’ai pas envie de subir les événements. Et si on perd, ce n’est pas grave, j’aurais au moins tenté quelque chose. J’aime bien également demander à mes joueurs de tenter des choses dans un match et même si cela ne marche pas, ce n’est pas grave. Quand je vais voir un match de jeunes, les mômes se font tomber dessus maintenant par les spectateurs autour du terrain sous prétexte qu’ils manquent des passes, des gestes... Mais ils sont fous, ce sont des gamins ! Les équipes sont tellement bien organisées aujourd’hui que si on n’apporte pas une différence dans le jeu, le match en question sera fermé et se débloquera, au petit bonheur la chance, sur un exploit individuel. Mais au bout du compte, moi, je ne prendrais pas de plaisir. Je peux perdre, comme à Guingamp (défaite 2 à 0, ndlr), mais j’ai quand même pris du plaisir. Dans le football, on n’accepte plus rien et hélas cela ne fait pas avancer. Pour déséquilibrer l’équipe adverse, il faut aussi déséquilibrer sa propre équipe. Si chacun reste à son poste, la différence se fera sur la force physique ou l’exploit individuel. En revanche, si les courses sont là, si ça bouge dans tous les sens... Dernièrement, je lisais que le Bayern Munich ne souhaitait pas recruter Olivier Giroud parce qu’il détenait Mario Gómez dans leur rangs. Ils ont raison dans le sens où c’est le même type de joueurs. Cela ne sert à rien, il faut chercher la complémentarité. Je me souviens qu’à Rennes, on avait Jimmy Briand associé à Mickaël Pagis, c’était vraiment le top. Et je pense que l’on s’oriente vers la même chose entre Julien Féret et Mevlüt Erding. »
SRO : Quel est le projet à l’AS Vitré ?
- M.S. : « La priorité, ce n’est pas de monter dès cette saison en CFA. Ce ne sera pas la mort du club si on n’y parvient pas cette année. Je préférerais monter c’est certain, mais on essayera l’année prochaine. Mon premier objectif c’est de gagner tous les matchs. À partir de là, si on ne gagne pas tout, on avisera à ce moment-là. Ensuite, le principal objectif c’est de bien travailler avec les jeunes de la région. C’est un point important pour ne pas les délaisser, de pouvoir les installer dans de bonnes conditions de travail pour qu’ils puissent progresser, pour qu’ils aient aussi l’envie de jouer et d’aller le plus haut possible avec nous. »
SRO : Dernière question, vous ne pouvez pas y échapper avec les deux fistons qui pour l’un (Arthur) est professionnel, puis l’autre (Éliott) qui pourrait prendre le même chemin dans les prochaines années. Cela vous fait quoi ?
- M.S. : « Je ressens de la fierté tout d’abord. On ne parle pas de ma fille (Charlie), mais je suis très fier d’elle aussi, puisqu’elle est juriste au syndicat des footballeurs professionnels. Le football est une passion chez elle. Je suis vraiment très fier de mes enfants ! Arthur, c’est le plus titré de la famille, et de loin. Il a tout gagné chez les jeunes du Stade Rennais, il a aussi multiplié les trophées en Suède et au Danemark. C’est affolant parce que ce fut dur pour lui, très dur. Quand on est le fils d’un ancien joueur, ce n’est pas simple, on est tout le temps jugé par rapport à son père. C’est l’horreur ! Puis, vu que le père était défenseur central, on l’a mis aussi à ce poste. En plus, Arthur vient de resigner trois ans donc tout se passe bien pour lui. Quant à Éliott (U19 et CFA2 au Stade Rennais, qui va entamer sa deuxième année stagiaire, ndlr), il fait son petit bonhomme de chemin. »
Sopacheco
19 avril 2012 à 14h23Merci pour cette interview que je trouve très intéressante et qui met en lumière un personnage qui le mérite bien.
Quand je lis : « je suis plus compétiteur que formateur », ça me plait bcp, c’est ce profil qui me conviendrait pour notre équipe.
Faire de la formation et de l’éducation pour les équipes de jeunes, oui, mais traiter les pros en pros et les entraîner en faisant corps avec eux vers la victoire.
Si pour l’année prochaine, Michel Sorin devait être nommé entraîneur de l’équipe première du stade rennais, j’en serais enchanté, il a un parcours intéressant, des valeurs footballistiques intéressantes et une histoire avec le stade rennais. Il aurait à mes yeux toute légitimité et compétence pour ça.
Mais, et comme il le dit lui-même, qui saurait le respecter réellement ds cet environnement mercantile du foot ? Je ne parierais pas sur la totalité de nos joueurs ni même la majorité.
Ceci dit si la majorité peut basculer à sa faveur, alors c’est un pari que je trouve hautement intéressant.
Cordialement.
vincent
19 avril 2012 à 16h44des ex joueurs de rennes, devenu entraineurs, y en a plusieurs, et beaucoup s’en sortent pas trop mal, je pense qu’il faut un entraineur qui a la gagne dans son esprit, et qu’il la transmette à ces joueurs, ça doit pouvoir se trouver, meme si il vient pas de Rennes, je pense à Kambouaré ? sinon à Nantes y a aussi un ancien rennais qui entraine.
Rédacteur
20 avril 2012 à 15h31L’emplacement est juste mal choisi. Ceci est une interview d’un ancien joueur du Stade Rennais, donc les commentaires sur Frédéric Antonetti ou bien le débat « Didot-Lemoine » (également effacé) n’ont rien à faire dans la partie commentaire de cet article.
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