Interview, 2ème partie. International mauricien depuis 2009, Jonathan Bru s'investit corps et âme pour son pays d'origine. Rejoint par son frère Kévin en sélection, il revient sur les raisons qui l'ont poussé à porter le maillot du « club M », présente le projet du football mauricien, tout en regrettant la décision de sa fédération de retirer l'île Maurice des éliminatoires de la Coupe du monde 2014. Un entretien vérité.
SRO : Vous avez surpris un peu tout le monde en choisissant de porter le maillot de l’île Maurice, il y a quelques mois. Cela faisait longtemps que c’était dans un coin de votre tête ?
- Jonathan Bru : « Vous allez peut-être trouver ça bizarre, je le disais peut-être en rigolant, mais quand je portais le maillot de l’équipe de France dans les catégories jeunes, je disais souvent que je voulais un jour jouer pour l’île Maurice. Je ne me rendais pas forcément compte de ce que je disais, on m’a souvent pris pour un fou (rires). Après, c’est certain que si j’avais eu l’opportunité de jouer en équipe de France, j’aurais joué avec l’équipe de France. C’est clair, net et je le dis sans ambigüité. Avec mon petit frère Kévin (formé également à Rennes, ndlr), je me rappelle que quand on jouait petit au football, on faisait "Oh oui, but de l’île Maurice !" C’était le pays de nos parents, donc ce sont aussi nos racines et ce pays m’a toujours fait quelque chose. »
SRO : Vous avez eu l’opportunité d’y aller durant votre enfance ?
- J.B. : « Oui, une ou deux fois par an. Quand j’étais au centre de formation de Rennes, j’y allais au mois de décembre et en été. »
SRO : Quel souvenir conservez-vous de cette première sélection face au Cameroun (1-3), le 4 septembre 2010 ?
- J.B. : « C’était vraiment particulier ! On jouait une grande nation du football africain, le Cameroun. En plus, pour la première fois de ma vie, je portais ce maillot. J’avais un peu l’impression d’être en face de mes responsabilités, car il y a peu de joueurs professionnels dans cette sélection. On avait fait un match correct avec une génération qui était en reconstruction, car beaucoup de joueurs étaient partis. C’était un renouveau pour le sélectionneur en place (Akbar Patel, mauricien d’origine, ndlr). J’aurais pu jouer avant pour le « Club M » (un des surnoms de l’équipe nationale avec les « Dodos », ndlr) mais je me suis donné un temps de réflexion. Pour en revenir sur le Cameroun, ça s’était bien passé, j’ai eu la chance de récupérer un ballon sur Eto’o, de dribbler Makoun, puis de donner le ballon à un de mes collègues qui se fait faucher dans la surface. Penalty ! On était mené d’un but, juste avant la pause, donc j’ai pris le ballon et j’ai marqué (sourire). Je ne pouvais pas rêver d’une meilleure entame, surtout en Afrique, le stade était en ébullition en plus. »
SRO : C’est un de vos meilleurs moments depuis que vous jouez au football ?
- J.B. : « Je ne sais pas. Mais c’était, c’était, c’était… fort quand même ! C’était vraiment fort. »
SRO : Quel constat faites-vous de la progression de votre sélection depuis votre arrivée ?
- J.B. : « Sincèrement, c’est difficile pour moi car je n’ai pas fait un état des lieux de la sélection avant mon arrivée. C’est difficile de juger. Après, si on écoute les gens de là-bas, ils sont contents que je sois venu prêter main-forte à la sélection et de mon investissement. Avant ma venue, il y avait aussi de bons joueurs comme Désiré Périatambée (36 ans aujourd’hui et joueur de Bastia, ndlr) qui entourait une bonne génération. Cependant, c’est compliqué de rivaliser avec les sélections du continent. On va tenter de casser le fossé de la différence de niveau entre l’île Maurice et les sélections dites « moyennes ». C’est notre objectif aujourd’hui. Au niveau du classement FIFA, on est très loin quand même (rires). En restant lucides, on espère un jour battre de grandes équipes africaines. Pour le moment, c’est très difficile. C’est pour ça que je tente d’apporter mon expérience, de donner des petites choses pour devenir pourquoi pas un modèle pour les jeunes footballeurs du pays, de leur donner envie pour qu’ils se disent "Tiens, il y a des joueurs mauriciens qui réussissent dans le football". J’aimerais les inspirer pour que dans dix, vingt ou trente ans, il y ait de plus en plus de joueurs mauriciens à percer, pour que la sélection progresse en même temps. »
SRO : Comment se fait-il que la Fédération mauricienne de football ait pourtant décidé de retirer la sélection des éliminatoires de la Coupe du monde 2014 ?
- J.B. : (Silence) « C’est un peu le problème des pays africains. Il y a des dirigeants qui sont aux commandes… On m’a dit qu’il n’y avait plus d’argent dans les caisses pour que l’on se présente à ces éliminatoires. Mais comment peut-il ne plus y avoir d’argent dans une fédération ? Où passe l’argent ? Ce sont des questions que l’on se pose aujourd’hui. C’est triste ! Je suis certain qu’il y a des pays encore plus pauvres que le notre qui parviennent à faire des choses, à se présenter dans ces compétitions internationales. Pour moi, ça fait partie des choses en Afrique qu’il faudrait gommer pour avoir des projets intéressants. »
SRO : C’est quand même un coup d’arrêt dans votre plan de progression...
- J.B. : « Complètement ! C’est même un gros coup d’arrêt. Tu ne joues pas, donc tu ne peux pas te confronter à des joueurs majeurs. Surtout pour nous les Mauriciens. C’est notre seul moyen de nous mesurer à des équipes et des joueurs relevés. Chaque match, je dis bien chaque match, est une possibilité pour la sélection de progresser, hausser son niveau et le plus important : apprendre. C’est ça le football. »
SRO : Vous n’avez pas été sondé par rapport à ce choix de la fédération ?
- J.B. : « J’avais été tenu un peu au courant de tout ça. Quand les médias ou mon sélectionneur m’appellent pour me dire que les caisses sont vides, que voulez-vous que je fasse quant à cette décision ? Je suis stupéfait, impuissant, car j’ai encore du mal à me dire que des choses comme ça peuvent exister. On ne va pas se mentir, l’argent ne va que dans les poches des gens qui tiennent la caisse… Je crois savoir que la FIFA aide les pays pour leur développement, jouer des matchs… Ce sont des choses qu’il faut dénoncer. C’est très grave ! »
SRO : La non-professionnalisation du championnat mauricien est-il un obstacle à cet objectif ?
- J.B. : « Après, beaucoup de championnat africains sont aussi dans le même cas que nous. Maintenant, c’est clair que l’idéal serait de le professionnaliser. Mais on a tellement de choses à régler avec la sélection nationale que ce point n’est pas le plus urgent (rires). »
SRO : Un projet a-t-il été quand même mis en place concernant le football mauricien ?
- J.B. : « Je vais être honnête, tout aujourd’hui est remis en question parce que je suis incapable de vous dire quand se déroulera le prochain match, son lieu… Comme mes compatriotes, j’attends, tout simplement. Je ne vous cache pas que c’est actuellement compliqué, alors que j’ai passé une superbe première année en sélection. Ce fut enrichissant à tout points de vue, car j’ai appris beaucoup de choses. Quand je vois ça, je me dis que les joueurs français et européens ont beaucoup de chance. Même en dehors du football, on se plaint, mais croyez-moi on n’est pas à plaindre. »
SRO : Vous vous êtes fixés une mission en venant ici, devenir en quelque sorte une image forte du football mauricien ?
- J.B. : « C’est pour ça que je suis venu. Je veux apporter des choses. D’ailleurs, on me le demande souvent et si je ne le fais pas, je suis mort (rires). Quand je suis là, le sélectionneur me demande d’encadrer le groupe. Les joueurs me posent des questions sur ma carrière, ma vie, le football en Europe, l’hygiène de vie, la récupération… Tout ça, c’est encore une interrogation pour eux, vu que le championnat de notre pays n’est pas professionnel. C’est pour ça que je respecte beaucoup mes partenaires car ils ont, pour la plupart d’entre-eux, des boulots difficiles à côté. On relativise à côté d’eux. »
SRO : Au niveau des infrastructures, où en est l’île Maurice ? Et est-ce une terre de football ?
- J.B. : « On a deux, trois jolis stades. Après, pour les conditions, elles sont certes correctes mais on aurait besoin d’un peu plus. Quand je vois ce que j’ai connu en France et au Portugal, c’est quand même incomparable. Pour l’engouement, c’est assez fort ! L’été dernier, on a disputé les Jeux des îles de l’Océan indien, et on a ressenti tout le pays derrière nous. C’est une compétition plus locale, plus accessible pour notre niveau que de jouer les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations. Les jeux sont une compétition qui leur tient à cœur. C’est juste dommage que l’on ait été battu en finale. »
SRO : Comme vous, votre frère, Kévin, est passé par le Stade Rennais, a signé professionnel et a connu également le même parcours.
- J.B. : « On a une carrière assez similaire, et ce depuis le départ (rires). Au contraire de moi, il a été prêté à Châteauroux puis à Clermont Foot. Mais quand il est revenu, il n’a pas fait un match avec Frédéric Antonetti. Donc il est parti à Dijon avant de signer à Boulogne-sur-Mer. Il fait pour le moment une carrière correcte. Il a quitté Rennes parce qu’il avait l’ambition, comme moi, de reculer pour mieux sauter. Il est à un âge un peu plus mature et ce n’est plus le même joueur de 18 ans que vous avez connu. J’espère pour lui qu’il pourra s’exprimer au haut niveau. Sa nonchalance ? C’est vrai qu’il en dégage mais c’est juste une impression. C’est son style, sa manière de jouer… Si on lui enlève ça, on lui enlève une partie de sa personnalité. Il faut aussi voir ce qu’il fait de bien. Car il a des qualités. De toute façon, on ne signe pas un contrat professionnel à Rennes par hasard. »
SRO : C’est une petite fierté de voir les deux frères Bru en sélection nationale ?
- J.B. : « La décision est venue de lui. Je lui en avais un peu parlé mais je lui avais dit aussi de bien prendre son temps, car il était très jeune. Même s’il a un certain âge (rires). C’est un plaisir de jouer avec son frère, le football c’est avant tout du plaisir, rien que ça. Pour ma famille, c’est une fierté ! Quand mon papa a quitté l’île Maurice, personne ne le connaissait. Et là, il a deux fils qui jouent en sélection. Il reçoit pas mal d’appels maintenant (rires). Notre petite réussite, c’est aussi la sienne ! »
SRO : Et comment ça se passe sur le terrain ?
- J.B. : « Kévin joue en dix au poste de meneur de jeu. Moi, en six, pour le couvrir et rattraper ses erreurs. Puis il profite de mon travail pour se régaler et se faire plaisir (rires). C’est un joueur nonchalant donc il vaut mieux qu’il soit devant. »
SRO : Lindsay Rose, né à Rennes, passé également passé par les équipes de jeunes du Stade Rennais, avait émis l’hypothèse dernièrement de rejoindre le « club M » s’il n’était pas appelé en équipe de France. Attirer ce type de joueur peut-il faire partie de votre réflexion afin de permettre à l’équipe de l’île Maurice de progresser continuellement ?
- J.B. : « Je ne le connais pas personnellement. Mais j’ai entendu dire que c’était un bon joueur qui joue en défense. Maintenant, je ne travaille pas non plus pour la fédération, je fais juste ce que j’ai à faire pour faire en sorte de passer un cap avec l’île Maurice. Si, maintenant, ça peut permettre de faire venir des joueurs franco-mauriciens comme Lindsay, c’est tant mieux pour nous. Ce sera un excellent renfort. Maintenant, je lui conseillerais de ne pas se précipiter, c’est un espoir qui peut connaître autre chose. Mais si ce n’est pas le cas, le football mauricien lui tendra les bras et il sera le bienvenu. »
SRO : Vous avez encore de belles années devant vous. Mais, plus tard, songez-vous jouer un rôle majeur au développement du football mauricien, en développant par exemple des centres de formation ou en devenant une figure importante de la fédération mauricienne ?
- J.B. : « Je compte m’impliquer d’une manière ou d’une autre dans le football mauricien. C’est une évidence. Pour les jeunes là-bas, j’aimerais que le football puisse être un jour une issue professionnelle. Mais pour cela, il faut restructurer, définir un projet… Pour mon investissement, je ne sais pas. Je me donne encore un peu temps. Mais c’est dans un coin de ma tête. Pour la fédération, je ne sais pas. Mais je laisse la porte ouverte à beaucoup de choses. »
SRO : Vous souhaitiez passer un message aux supporters rennais. Vous avez carte blanche.
- J.B. : « Le Stade Rennais, c’est un club important pour moi, même si je n’ai pas beaucoup joué en professionnel. Je suis arrivé à 14 ans, j’y suis resté sept ans parce que je me sentais bien dans ce club. J’ai encore des amis dans cette ville. Rennes m’a permis de faire carrière dans le football. Et ça, je ne l’oublie pas car c’était mon premier objectif. J’ai de l’amour pour le Stade Rennais. Je tiens d’ailleurs à passer un message à Patrick Rampillon (directeur du centre de formation, ndlr) et vous lui donnerez mon numéro. De Rennes, s’il y a une personne qui me reste dans l’esprit, c’est lui. C’est une personne qui s’est toujours bien comporté envers moi et ma famille, réalisant en plus un travail remarquable depuis des années. Je trouve qu’on ne parle pas assez de lui. »
Louis G
14 février 2012 à 16h41Je trouve cet article très intéressant car cela me permet de mieux connaitre les « Bru »...l’état d’esprit de Jonathan est particulièrement positif...voilà un joueur qui n’a pas pu faire carrière à Rennes et pourtant il est très reconnaissant pour son Club formateur (alors que d’autres enfants gâtés se contentent de tout critiquer)...par ailleurs, je trouve « remarquable » de réaliser son rêve d’enfant en jouant pour le pays de son père et avoir des projets pour aider les jeunes de ce pays à réaliser aussi leurs rêves de futurs footballeurs professionnels !...
Bel interview d’un ancien jeune joueur qui avait un gros potentiel il y a bientot dix ans. On sent beaucoup d’humilité dans cet interwiew.
Ajouter un commentaire