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ENTRETIEN / Paul-Georges Ntep (2/2) : « Aujourd’hui, je ne me fais pas de soucis s’il n’y a pas de football dans ma vie »

Thomas Rassouli 18 janvier 2024 à 12h30 3 commentaires

Il y a 10 ans presque jour pour jour, Paul-Georges Ntep rejoignait le Stade rennais en provenance de l’AJ Auxerre. En trois ans passés au SRFC, l’attaquant arrivé avec l’étiquette de jeune talent de Ligue 2 aura connu la meilleure saison de sa carrière, l’équipe de France, mais aussi une blessure tenace ayant joué sur le reste de son parcours. Passé par Wolfsburg, Saint-Étienne, Kayserispor, Guingamp puis Boavista ces dernières années, Ntep a posé en septembre ses valises au Ho Chi Minh City FC. À 31 ans, l’ancien Rennais, rare dans les médias, s’est entretenu avec SRO, au Vietnam. Sa blessure, le Stade rennais d’aujourd’hui, l’évolution du foot, son regard sur sa carrière… Seconde partie d’une interview fleuve.

Ta deuxième saison avec Rennes (2014-2015) est probablement la meilleure de ton passage, qui t’amène en équipe de France. Est-ce qu’on peut dire que c’est la meilleure saison de ta carrière ?

Oui. Sur le plan statistiques, sur comment je me sentais avant chaque match, sur le rendu dans la tête des gens. À la fin, en plus, il y a l’équipe de France, même s’il y a l’élimination avec les Espoirs. Les Espoirs c’était un objectif pour moi. Je n’étais pas du tout dans ma tête en train de me dire que j’allais joué un jour en équipe de France. Quand tout ça s’enchaine… C’était la meilleure saison de ma carrière, et celle qui a marqué un tournant dans ma carrière, car c’est à la fin de celle-ci que je me découvre une fracture de fatigue au tibia.

Qu’est-ce qui a fait que ça a autant marché avant cette blessure ?

Je me sens très bien dans la ville, au club. Avec le coach (Philippe Montanier, ndlr), les 6 premiers mois avaient été un apprentissage, après il a aussi appris à me connaitre un peu plus sur le plan humain. Je me rappelle de discussions qui parfois pouvaient être tendues mais aussi très bienveillantes de sa part. Quand tu te sens bien avec ton coach, tes coéquipiers, qui faisaient en sorte de me mettre dans les meilleures conditions pour performer… Tu te sens bien sur le plan personnel, dans le club, dans ton corps, tu es jeune. Ce sont des moments que tu n’expliques pas.

La vie à côté joue également, c’est un tout ?

Oui, c’est un tout. Je ne connaissais pas la ville, j’ai mis 6 mois à m’adapter, rencontrer des gens, créer ma routine. Sur le plan personnel c’est ma meilleure saison, mais c’est aussi une saison où tu retires de la frustration parce que je pense que le recrutement ne nous a pas permis d’apporter un plus à l’effectif pour s’installer dans la première partie de tableau.

« Physiquement, je ne faisais pas du Paul-Georges Ntep »

Comment vis-tu la découverte de cette blessure au tibia ?

Au début, je ne me dis pas que ça va avoir l’impact que ça a eu sur mon corps et mon jeu. Je ne le prends pas comme un drame sur le moment. Je reviens, j’essaye de faire un traitement. On me dit que c’est une blessure assez vicieuse, particulière. Je me dis que ça va mettre du temps. Mais j’ai intégré l’équipe de France, le coach (Didier Deschamps, ndlr) m’avait dit que ça dépendait de mes prestations en club. Je reviens, je suis rappelé mais je me blesse à Monaco juste avant. Je sens que la charge commence à devenir importante. Je fais 6 mois en essayant de serrer les dents car je me dis qu’il y a l’Euro en fin de saison. Mais physiquement, je ne faisais pas du Paul-Georges Ntep. Je me fais opérer en mars 2016, et après ça a été différent. J’ai mis du temps à digérer le changement que ça met dans ton corps, sur l’approche des matchs, la préparation. C’est une blessure pas anodine que tu ne peux pas comprendre tant que tu ne l’as pas eu. Yoann Gourcuff a eu à peu près la même chose à un endroit différent. J’ai subi une double opération du tibia. C’est une blessure vicieuse car des moments tu vas te sentir bien, puis moins bien. Ça dépend de chacun, du style de jeu de chacun. Le mien était très sur l’explosivité, le dynamisme. C’est peut-être ça qui a fait que j’ai subi cette blessure là. J’ai mis du temps à m’adapter à ça.

Par la suite, t’es-tu déjà senti à nouveau aussi bien qu’avant cette blessure ?

Non. En 2016, avant de signer à Wolfsburg, je me suis senti bien. Mais en survol comme à cette époque, non. À mon grand regret (rires). Puis ensuite l’âge fait ça, tu vieillis, tu joues différemment, ton corps est différent. Il n’y a que Cristiano (Ronaldo) ou Messi qui peuvent dire la trentaine passée qu’ils se sentent comme quand ils avaient 22 ans.

C’est aussi la période où émerge Ousmane Dembélé. Tu l’avais vu arriver ?

Oui ! Déjà la saison d’avant, j’étais allé voir des matchs de la réserve, et je me demandais pourquoi il ne jouait pas avec nous. Le recrutement n’avait pas permis de basculer, et tu avais ce petit jeune en réserve qui était performant. J’avais demandé et on m’avait dit que ça bloquait là-haut, ou je ne sais pas. À la pré-saison ensuite, quand il est avec nous, tout le monde est content. On se dit qu’il peut nous aider, il y avait aussi Jérémie Boga et Juan Quintero qui avaient été signés. Il y avait un recrutement qui avait plus de gueule, mais l’éclosion d’Ousmane, on l’avait vu venir oui.

Tu as joué quelques matchs avec lui…

(Il coupe) Oui, je lui donne son premier but. À domicile contre Bordeaux (en octobre 2015, ndlr). Les moments où j’ai été décisif je m’en souviens (rires). Mais c’est une saison où j’ai mal, je serre les dents, j’enchaine les pépins musculaires, je ne me sentais pas dans mes standards et je décide de me faire opérer. J’aurais aimé qu’on fasse plus de matchs ensemble, je pense qu’on avait une équipe avec des joueurs de football, qui aurait pu être très sympa. La mayonnaise n’a pas pris parce que Jérémie Boga n’était pas le joueur qu’il est maintenant, Ousmane pareil. Juan Quintero, qui avait un pied gauche comme j’en ai très peu vu dans ma carrière, n’a pas pu physiquement s’adapter au jeu français. C’est dommage mais ce sont de très bons souvenirs que je garde de ces années-là sur le plan humain.

« Je me suis vraiment senti bien, chez moi à Rennes »

Que penses-tu de ton passage au Stade rennais ?

Je pense qu’il y a eu de tout. Il y aurait pu y avoir un titre. Il y a eu une sélection en équipe de France. Il a juste manqué l’Europe. Il y a eu surtout beaucoup de bons moments, dans ma vie personnelle ou sur le plan footballistique. J’ai rencontré des gens avec qui je suis encore en contact aujourd’hui. J’ai découvert une ville que j’apprécie même si je n’y retourne pas assez souvent à mon goût, que je connais quasi par coeur.

Qu’est-ce que tu changerais à ton passage, hormis les blessures ?

Franchement il n’y a que ça. Sur le reste, j’ai grandi sur le plan humain, j’ai appris des choses, rencontré des gens. Je ne vois rien d’autre.

Quel est ton meilleur souvenir à Rennes ?

(Il réfléchit). La communion avec le public, et avec les gens du club. Je me suis vraiment senti bien, chez moi. « Ntep le Rennais », pour quelqu’un qui n’est pas de la ville, tu te sentais vraiment à l’aise. Ça allait aussi avec la réussite que j’avais sur le terrain, donc forcément tu sens l’amour des gens. Au club, j’étais dans une période difficile. Là j’ai mûri avec le temps, mais j’étais un petit con quand même. J’étais jeune hein.

Comment juges-tu l’évolution du Stade rennais depuis ton départ ?

Ils ont fait les bons choix au bon moment. Le club est là où il voulait être, et au vu des investissements faits par le passé, là où il doit être, avec aujourd’hui la bonne politique de recrutement. À l’époque, certains recrutements n’avaient pas été à la hauteur, là ils ont été très intelligents après mon départ.

À qui penses-tu ?

La première personne que j’ai en tête c’est (Benjamin) Bourigeaud. Ça a été la très bonne recrue d’après cette période-là. Ils ont gardé Benjamin André, après ça tu arrives à faire venir un (Hatem) Ben Arfa qui performe, M’Baye Niang aussi, Ismaila Sarr. Il y a eu aussi un bon coaching, les étoiles se sont alignées. Une fois que tu t’es installé comme club jouant les premières places, se qualifiant régulièrement en Europe… Forcément tu as des jeunes qui veulent venir et se disent que c’est un club où je peux me faire un nom et m’inscrire sur la durée. Aujourd’hui, ce n’est plus juste un club tremplin Rennes. C’est un club qui peut garder des joueurs. C’est ce qui a fait basculer le club. Ce qu’il manquait c’était pouvoir recruter des joueurs pour lesquels il fallait mettre des sommes, et les convaincre de venir. Tu avais les moyens, mais pas forcément les arguments derrière qui pouvaient faire basculer un jeune qui hésitait peut-être entre Lyon, Marseille ou Rennes. Aujourd’hui, tu sais que c’est un club qui a de la stabilité, qui financièrement peut proposer des choses intéressantes et de la continuité à des jeunes joueurs.

Des joueurs t’ont impressionné, avec qui tu aurais aimé jouer ?

(Direct) Bourigeaud. Déjà quand il était à Lens j’aimais beaucoup. Quand il a signé j’étais très surpris même, je trouvais que c’était une bonne pioche. C’est un joueur bon pourvoyeur de ballons. Quand tu es ailier et qu’il est derrière, tu sais qu’il va faire les efforts, t’apporter les solutions, décisif. Hatem Ben Arfa aussi, car c’est Hatem Ben Arfa (rires). Mais celui pour qui je me dis que c’est dommage qu’il n’ait pas été là quand j’y étais, c’est Bourigeaud.

« Aujourd’hui, c’est devenu un peu le casino »

On a parfois comparé Jérémy Doku à toi ces dernières années. Qu’est-ce que tu en penses ?

Je trouve qu’il est beaucoup plus explosif que moi je l’étais. J’étais plus au-dessus en terme de puissance, et lui très explosif. Mais il y avait quelques similitudes. Quand il était à Rennes, il n’avait pas peur de jouer sur sa vitesse. Il savait qu’il allait avoir l’avantage sur ses adversaires. Mais je peux comprendre (la comparaison). Les blessures ? Tu peux avoir des périodes comme ça. La dernière déchirure musculaire que j’ai eu remonte à des années. C’est comme Ousmane (Dembélé) quand il va à Barcelone, même s’il n’a pas le même profil physique. Une déchirure musculaire, ton corps va compenser car tu as des temps de cicatrisation qui ne sont pas communs aux autres humains. Un joueur de foot doit revenir assez vite. Tu reviens, tu te sens bien, mais ton corps au fond n’est pas forcément à 100%. Tu vas compenser et te péter à un autre endroit qui n’a rien à voir. Je pense que tu as des cycles comme ça où tu peux être sujet à des déchirures musculaires. Après, moi à l’époque où je suis à Rennes, le pôle santé n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Et en terme de prévention, est-ce que je faisais ce que les joueurs et moi peuvent faire aujourd’hui ? Je pense que je n’étais pas aussi assidu. Quand tu reviens, tu te sens bien, tu joues bien, tu te relâches un peu sur ce plan là. Aujourd’hui, Doku est à Manchester City, donc il n’y a pas de relâchement je pense. Ce sont des trucs calculés, ce sont des Formule 1, t’es encadré à fond sur ce point là. J’espère pour lui qu’il pourra continuer à jouer sur ces caractéristiques-là le plus longtemps possible.

Tu as connu une médiatisation forte en arrivant un peu comme un boulet de canon étant jeune. Aujourd’hui, Doku, mais aussi Eduardo Camavinga, Mathys Tel, Lesley Ugochukwu, Désiré Doué, ce sont des joueurs qui explosent de plus en plus jeunes et partent pour de gros transferts. Que penses-tu de cette évolution du foot concernant les jeunes talents ?

(Il réfléchit). Disons que cela répond à une évolution du football dans sa globalité. Aujourd’hui, c’est devenu un business très rentable et florissant. Qu’est-ce qui rapporte le plus ? Le talent de demain. Dès que tu vas avoir un joueur qui a du potentiel, les clubs se les arrachent. Avant on attendait que tu aies confirmé pendant un certain nombre d’années pour qu’on vienne toquer à ta porte. Quand un club venait t’acheter en catégories de jeunes, c’était déjà exceptionnel. Aujourd’hui c’est quelque chose qui se fait très souvent, c’est devenu un peu le casino. Tu paries sur des joueurs, tu espères qu’ils vont être au diapason et répondre aux attentes, et en espérant derrière faire des culbutes. Moi à l’époque, j’arrive comme un boulet de canon oui, et le tarif pour un joueur de Ligue 2 c’était beaucoup pour moi, dans mon état d’esprit (aux alentours de 6 millions d’euros). Au final, tu es bénéficiaire et victime en même temps parce que tu n’es pas forcément prêt à faire face à certaines choses. Les entourages ont aussi évolué, ils sont préparés très jeunes. Le projet Mbappé, etc… Les gens sont aujourd’hui très préparés au fait qu’ils veulent que leur enfant perce. Moi jusqu’à ce que j’aille à Auxerre, j’allais aux entrainements et aux matchs par mes propres moyens, ou avec un parent d’une famille. Ce n’était pas un truc où mes parents me disaient « tu dois percer ». Aujourd’hui, il y a des attentes. La médiatisation aide beaucoup aussi car on s’intéresse beaucoup aux talents de demain. Quand je lis le journal L’Équipe, il y a des rubriques « les talents de demain ». Avant pour qu’on parle de toi dans L’Équipe, il fallait que tu sois en Ligue 1. La médiatisation a changé, ça couvre la Ligue 2, le National, les championnats de jeunes. Le monde a évolué, les réseaux sociaux, le journalisme. Ça aide à promouvoir des talents, mais ça met aussi des jeunes gens, des jeunes hommes sur le devant de la scène très tôt. Une carrière, tu tirais ta révérence autour de 33-35 ans, et quand tu vois le nombre de matchs qui va en augmentant, est-ce que c’est une bonne chose ? Est-ce que les carrières seront aussi longues ? Je ne sais pas.

Lorsqu’on est jeune, on traîne le prix de son transfert ?

Oui. Parce que tu vas avoir des petites remarques. « Ah c’est lui qui a été acheté 5 millions ? Vas-y, fais voir ». Quelqu’un qui est acheté 100, 150, 200 millions, des sommes devenus banales aujourd’hui, forcément tu n’es pas préparé à ça. Ça te rajoute une pression parce que tu te dis « je dois encore plus montrer ». À l’époque où Cristiano Ronaldo signe au Real Madrid (en 2009, pour 94 millions d’euros, un record alors), tu te dis « wow ». Aujourd’hui c’est devenu un casino, tu paries sur des gens. Les joueurs sont bénéficiaires mais aussi un peu victime de ça, car qui peut dire aujourd’hui « je vaux 150 et c’est normal, ça ne va rien changer dans ma tête » ? C’est impossible. Demain on te dit « je mets 10 millions sur toi ». Tu marches dans la rue, les gens te regardent différemment. J’ai vu Mbappé récemment dire qu’il ne pouvait plus faire toutes les petites choses de la vie. Tout le monde n’est pas lui, mais chacun à son échelle, ça change ta vie, ta manière de voir la vie. C’est spécial, et tout le monde ne s’y fait pas avec la même facilité.

Considères-tu que tu as eu du mal à le porter ?

Non, car c’était une grosse somme pour l’époque (environ 6 millions d’euros, ndlr), mais je ne pense pas qu’elle était indécente, ou a choqué les gens. Je n’ai pas senti d’animosité, ou que je devais prouver tout de suite. J’ai eu de la chance d’arriver dans un environnement du Stade rennais où ce n’était pas la joie car on était en bas au classement, mais j’ai senti la sérénité des gens autour. Tu ne ressentais pas ce poids. Au pic de mon passage à Rennes, j’aurais pu partir à des sommes plus conséquentes.

Es-tu parti au bon moment de Rennes ?

Non. Il n’y a jamais vraiment de bon moment, mais je pense que le moment où je pars, disons que je suis contraint. Quand je dis contraint, je ne vise pas forcément une personne, mais l’enchainement des choses fait que c’est le moment où je dois partir.

On te fait comprendre que tu dois partir ?

Je ne l’ai pas vécu comme ça, mais, avec du recul, je comprends que c’était le bon moment, où je devais partir. J’étais à 6 mois de la fin de mon contrat. Si j’avais dit « je ne veux pas partir cet hiver, je veux aller au bout de mon contrat, ou renégocier un nouveau contrat », je ne sais pas s’il y aurait eu le feu vert de tout le monde. Disons que ça arrangeait un peu tout le monde. Moi j’avais l’occasion d’aller dans une ligue (Bundesliga, en Allemagne, ndlr) qui m’intéressait, dans un club qui m’avait montrer de l’intérêt et où je me voyais gravir un palier. Après, tu fais des projets dans la vie et ça ne se déroule pas forcément comme tu veux. Mais si tu me demandes à moi si je partirais à ce moment là, non.

Tu n’as pas eu de proposition de prolongation ?

Non. Rien de concret n’est arrivé sur ma table en tout cas. Sur celle de mon représentant de l’époque, je ne sais pas. Dans le monde du foot, il y aussi cet aspect là. Des discussions se font parfois dans lesquelles tu n’es pas forcément impliqué et dont tu n’as pas les tenants et aboutissants, mais moi on ne m’a jamais dit concrètement qu’on voulait que je reste. Par la suite, j’ai compris que c’était peut-être pour moi le bon moment de partir, par rapport à des déclarations faites après mon départ, du coach de l’époque (Christian Gourcuff, ndlr), et du président de l’époque (René Ruello, ndlr). Le discours que les gens tenaient après, ce n’est pas le discours qu’ils me tenaient à l’instant où j’y étais. Mais je n’ai aucune animosité envers personne, de mon passage à Rennes. Les moments que j’ai vécus, je les ai vécu pleinement et j’ose espérer que les gens gardent du positif de ma rencontre avec eux comme moi je garde du positif. La plupart des gens que j’ai rencontrés à Rennes, je les revois avec plaisir. C’est rare d’arriver dans des clubs et d’avoir ce sentiment. Après ça, ça m’est arrivé très peu souvent.

« Je pense que je serai dans la catégorie des « et si… »

Tu viens de disputer en 3 mois 597 minutes de jeu avec le Ho Chi Minh City FC, chose que tu n’avais plus fait depuis 2017-2018. Comment tu te sens ?

Je me sens bien. Ça fait longtemps que je n’avais pas pu faire une préparation pleine. J’ai pu enchainé les matchs sans pépins musculaires. Pour un joueur comme moi, c’est ce qui te fait à chaque fois perdre du temps sur le plan du cardio. Je suis dans un processus de retrouver des sensations parce qu’un an sans jouer ce n’est pas facile. Ici c’est un championnat où il y a pas mal de pauses. On a joué que 8 matchs de championnat depuis octobre. Ils donnent la priorité à l’équipe nationale avec une trêve internationale qui peut durer 3 semaines. Je pense que depuis que je suis là, j’ai joué autant de matchs amicaux que d’officiels. C’est un peu spécial, mais je suis venu pour une expérience de vie. C’est un très beau pays, très grand. Je fais du foot pour d’autres raisons aujourd’hui. Mais je prends du plaisir et mon corps suit. Sur le plan mental c’est bien.

Comment on en vient à signer au Vietnam ?

Je ne peux pas dire que c’était dans mon projet. J’étais chez moi, je n’avais rien eu de concret qui m’intéressait. J’avais des pays à l’étranger que j’avais déjà fait et où ça ne s’était pas bien passé, où je ne me voyais pas retourner. Je suis quelqu’un qui aime beaucoup la culture asiatique, j’ai fait beaucoup de voyages en Asie pendant ma carrière. C’était soit ça, soit enchainer une deuxième saison sans jouer. C’est un peu dur quand tu te dis que tu as encore envie d’être juste dans un vestiaire, jouer, avoir du public, ce feeling… C’est un pays magnifique en terme de cadre de vie. La première proposition, je me suis dit « mais qu’est-ce que je vais aller faire au Vietnam ? ». Puis tu regardes, tu te renseignes, le climat sociétal en France était morose, et je me dis pourquoi pas. J’ai fait une année sans jouer, j’ai poursuivi d’autres projets, et tu te dis « est-ce que ce n’est pas le moment d’arrêter ? », de faire autre chose. Aujourd’hui, je ne me fais pas de soucis s’il n’y a pas de football dans ma vie. Je suis quelqu’un qui a des idées et qui manque de disponibilités pour les mener au bout. Je sais que je peux faire autre chose et qu’il y a plein d’autres choses dans la vie que le foot. Mais j’avais envie de ne pas terminer parce que rien d’intéressant ne m’avait motivé. J’ai eu un bon feeling et je me suis dit pourquoi ne pas tester. Le projet qui m’était proposé était aussi intéressant. Le club était en difficulté depuis 3 ans, le coach qui me fait venir avait une bonne philosophie, et le discours qu’il fallait. Puis après, la ville et le pays ont fait le reste. Quand tu prends de l’âge, tu réfléchis différemment.

L’acclimatation se passe donc bien ?

À part la barrière de la langue. Très peu de gens parlent anglais couramment. Mais le foot c’est le même ballon partout. Ça met un peu de temps à ce qu’ils s’adaptent à ma manière de jouer. On a eu un changement de coach aussi, mais ça va je m’adapte bien.

C’est quel joueur aujourd’hui, Paul-Georges Ntep ?

Un joueur qui cherche à reprendre du plaisir, tout simplement. Aujourd’hui, je ne joue pas au football pour les gens, pour prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Comme à l’époque où j’allais jouer avec des potes, mais avec l’objectif de rendre l’opportunité qu’on m’a donné. Un joueur qui fait du foot pour se faire plaisir à lui-même, qui kiffe.

Ça fait longtemps que tu n’avais pas kiffé ?

Ouais. Ça fait longtemps que je n’étais pas si à l’aise dans ma tête. Pas en terme de santé mentale, mais plutôt ce que tu ambitionnes, ce que tu espères et ce que la réalité te renvoie. Aujourd’hui c’est un mood totalement différent et je me sens en paix là-dessus.

Tu tchip toujours quand tu dribbles un joueur ?

Non plus trop (rires). Même s’ils ne comprennent pas ce que ça veut dire. Ça se ressent pareil partout je pense.

Qu’est-ce que tu penses de ta carrière ?

Je pense que je serai dans la catégorie des « et si… ». « Et si il n’avait jamais été blessé ? » En tout cas c’est ce qui ressort de moi. Si je n’avais pas eu de double fracture au tibia, qu’est-ce que j’aurais pu être ? Sur le plan du football, je ne pense pas que j’étais quelqu’un qui avait les pieds carrés, qui ne comprenait pas le jeu. Je sais quelles étaient mes limites, mes possibilités. Mais disons que je n’ai pu exploiter pleinement mon potentiel que pendant un laps de temps assez court. Je suis arrivé comme un boulet de canon, et si j’avais pu continuer ma trajectoire, qu’est-ce qui aurait pu en être ? C’est pour ça qu’il y a de tout dans la vie, des gens amenés à faire quelque chose, et d’autres pas amenés à y arriver. Je pense que ce que beaucoup retiennent de moi c’est mon passage à Rennes et en équipe de France. Aujourd’hui quand les gens me parlent, c’est ce qui leur revient. Et quand ils le font, il y a toujours un « c’est dommage que… ». C’est pour ça que je pense que je serai dans la catégorie des « et si ».

Qu’est-ce que ça te fait quand tu entends ce « c’est dommage que… » ?

À un moment ça me faisait un petit pincement au coeur. Tu as l’impression d’avoir laissé tomber des gens, de ne pas avoir répondu aux attentes. Mais avec le temps j’ai appris à relativiser. J’ai appris la patience, l’humilité. Il y a ce qui s’appelle le destin. C’est comme quand tu es petit. Je suis né en Afrique, au Cameroun. Des gens sont nés en Europe, en Occident, avec des trucs que je n’avais pas. Il y a des trucs que tu ne peux pas décider. La seule chose sur laquelle je reviendrais ce serait mes blessures, mais c’est la seule chose sur laquelle je ne peux pas avoir d’impact. Tous les choix que j’ai fait ensuite je les assume. Il y a un Dieu au-dessus et c’est lui qui chapote tout ça, et on doit juste tirer le maximum de chaque situation dans laquelle on se trouve.

En mai 2015, tu confiais au JDD, « Je ne veux pas retomber dans l’anonymat une fois ma carrière finie. ». As-tu encore cette peur ?

Pas du tout. Je ne me souvenais même pas avoir dit ça (rires). Je pense que j’ai dit ça car je venais d’atteindre un niveau et que je pensais à « et si je ne réponds pas aux attentes… ». Aujourd’hui ce n’est pas du tout une crainte. Des gens vivent très bien dans l’anonymat. La vie ce n’est pas juste la célébrité, être connu à travers un nombre de followers. C’est plus que ça. Entre temps je suis devenu papa. L’anonymat ça a des bienfaits.

Qu’est-ce que tu dirais aujourd’hui au Paul-Georges Ntep qui a signé au Stade rennais il y a 10 ans ?

« Profite ». Parce que quand je signe au Stade rennais, je ne me dis pas que je vais connaitre une des meilleures périodes de ma vie là-bas. Avec le recul sur l’évolution du football, ça a été l’un des moments les plus sains de ma vie footballistique. Donc je lui dirais « profite ».

Retrouvez ici la première partie de notre entretien avec Paul-Georges Ntep, sur SRO

Crédit Photo : Ho Chi Minh City FC.

3 commentaires

  1. CondateFan
    18 janvier à 10h28

    Pour un « tout droit », notre ami Paul George nous offre un détour de sa carrière fort intéressant.

  2. Korrigan
    18 janvier à 19h12

    Merci PG,
    C’est classe une interview comme cela. Je suis content que tu trouves la sérénité. Je suis bien d’accord avec ta philosophie, et je t’avoue que je sentais « le petit con » (dit avec tendresse) que tu étais lorsque je te regardais, plein de culot, de potentiel, d’énergie. Merci pour ton passage à Rennes.
    J’étais là pour ta « tête » à Reims, car j’y habite, j’ai trouvé ça génial, mes voisins moins, mais comme tu dis, fallait le faire au moins une fois..
    (on l’a tous fait avec les copains)
    Bon vent à toi.
    N’hésite pas à nous laisser un commentaire, car je n’imagine pas une seule seconde que tu ne viennes pas lire ton interview içi..

  3. axeleden
    18 janvier à 23h30

    Il y a la Madjer, la Panenka et la PG. À chaque fois que je la fais, mes gosses ils m’engueulent et ils font leur Abdelhamid ! Tu n’as pas fait rêver que les gamins !
    Merci à toi, PG, celui qui nous a apporté le clapping au Roazhon Park !
    Et oui tu as raison : Profite !

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