PORTRAIT : Jeanuël Belocian, l’heure de maturité

Titulaire surprise face au Shakhtar Donetsk puis Clermont, Jeanuël Belocian connait une semaine déterminante, et un moment charnière de sa carrière, trois ans après son arrivée en provenance de la Guadeloupe. Difficile de rêver mieux pour le joueur ayant fêté récemment ses 18 ans, mais qui n’en est pas à son premier obstacle.

Il se souviendra longtemps de ses 18 ans. Au moment du passage dans la majorité, le défenseur central devait être habité par des sentiments mitigés. La veille de ce cap symbolique, le joueur avait honoré sa 4e apparition en professionnel avec le Stade rennais, et sa deuxième titularisation de la saison. Le SRFC venait cependant de concéder une troisième défaite d’affilée, et la défense avait souffert face à un Shakhtar Donetsk pourtant à la portée des Rouge et Noir.

Bruno Genesio était pourtant monté au créneau samedi pour défendre son jeune joueur. « Si je fais jouer Jeanuël, c’est que je vois des choses. Son match me convient parfaitement. » s’irritait le coach, qui tranchait « Je n’ai aucun regret sur le match qu’il a fait. » Tellement que Belocian, à la surprise générale, était également titulaire dimanche face à Clermont. Bien plus en jambes, auteur de bonnes interventions et solide au côté de Warmed Omari, le défenseur central a livré une belle prestation à une heure où la Gambardella avec laquelle il est « censé » évoluer compte tenu de son âge se qualifiait pour les quarts de finale. Le surclassement a depuis longtemps été acté pour « Jeanu », découvert en Guadeloupe.

De la Guadeloupe à la Piverdière

Originaire des Abymes, Belocian grandit dans une famille de sportifs. Si ses deux frères ont choisi l’athlétisme, Wilhem étant devenu hurdler professionnel, Jeanuël a tout le loisir de tester sa condition physique pendant des années à monter un beau dénivelé pour aller chercher le bus en haut de la rue de la maison familiale, non loin de Pointe-à-Pitre. Observé par Cédric Vanoukia, Landry Chauvin et Philippe Barraud à tour de rôle, Belocian est la première réussite du partenariat développé depuis 2016 avec le Stade Lamentinoisprésidé par Mickael Merabli. « On était sur un terrain (celui du Stade Lamentinois), j’avais 12 ans. Ils ont regardé les U11, les U13. Mickael Merabli a présenté des joueurs qu’il pensait qu’ils pouvaient aller faire des tests en France. Il y avait Lucas Rosier et moi. On l’a su deux jours avant. » nous racontait récemment Jeanuël Belocian.

« Tu te dis que c’est quand même un grand club qui vient te voir. Mais il faut être focus, pour montrer ce qu’on sait faire, notre capacité à comprendre les choses. C’est important dès le plus jeune âge. » Belocian le fait plutôt bien et multiplie alors les visites à Rennes, où il est mis à l’essai plusieurs fois, et vient en stage. Le milieu de terrain d’alors dispute notamment le tournoi de Sens. « C’est vraiment le tournoi qui m’a marqué. On arrive en finale, on fait un très gros tournoi, il me restera dans la tête. J’étais avec ma génération 2005 : Désiré Doué, Jérémy Jacquet, Mathys Tel, Joel Matondo, Nathan Quinton, Thomas Colleaux (aujourd’hui Brest). »

Nouvelles conditions

Mais c’est avant cela lors d’un match à Angers, au cours duquel il marque un but, qu’il découvre de nouvelles conditions auxquelles il faut s’adapter. « Il faisait très très froid. Le fait de jouer une première fois dans le froid, sous la pluie, la grêle, du vent, c’est dur. On a les mains et les pieds gelés. » explique Belocian. « J’ai toujours eu l’habitude de jouer à 29-30 degrés. Arriver sous 3 degrés, t’as des gants, des chaussettes hautes. Tes oreilles et ton nez deviennent rouges, t’as froid, t’attends une seule chose c’est la fin du match. C’est un changement, mais tu te dis que pour arriver là où tu veux, t’es obligé de passer par là. » Une épreuve de plus avant d’intégrer le centre de formation à 15 ans. « Le fait de sortir de la Guadeloupe et de venir en métropole, tu n’as rien à perdre. Tu te dis de tout donner, et après on verra. »

C’est aussi pour Belocian un moment particulier. Près de 6500km et un océan séparent la Guadeloupe de Rennes, une autre épreuve pour lui. « Le fait de ne pas être avec les parents c’est quelque chose. Il faut avoir du mental et de l’envie. Si la détermination est là, plus rien ne fait peur. La famille crée un manque, c’est sûr. Dans les moments difficiles, tu ne peux que les appeler au téléphone. Tu les appelles deux fois dans la journée. Mais si tu veux arriver au plus haut niveau, tu es obligé de te défaire de ça. »

Encadré par l’ETP Odorico, Belocian fait ses classes et peut compter sur ses deux frères, souvent en Europe, pour l’épauler également. « Je leur tire mon chapeau car c’est grâce à eux si aujourd’hui j’ai une mentalité comme ça. Mes parents aussi. »

Un nouveau cap franchi

Trois ans après son arrivée en métropole, passé professionnel en novembre 2021, Jeanuël Belocian vient donc d’enchainer deux titularisations avec l’équipe première, après deux courtes apparitions face à Metz la saison dernière puis Strasbourg en janvier, et une première titularisation face à Larnaca en novembre dernier.

En une semaine, son temps de jeu avec les pros a triplé (547 minutes aujourd’hui), alors qu’il remet en cause la hiérarchie où malgré l’irrégularité de Joe Rodon ou Christopher Wooh, Arthur Theate semble s’être installé. Si l’on attendait le Belge titulaire dimanche, c’est bien Belocian qui a enchainé après jeudi, Theate n’ayant pas caché sa déception lors de la reconnaissance terrain. Bruno Genesio n’a lui pas hésité à mettre sur le banc trois joueurs ayant coûté 30 millions d’euros au Stade rennais l’été dernier, pour un joueur qui avait jusqu’alors davantage évolué avec la réserve.

Jeudi, Rennes a rendez-vous avec le Shakhtar Donetsk pour un barrage retour déterminant pour les huitièmes de finale de Ligue Europa. Et à l’heure où le SRFC cherche tant à se rassurer, Belocian pourrait de nouveau débuter au côté d’Omari. Après l’heure de la majorité, voici celle de la maturité.

À LIRE : REPORTAGE : le Stade rennais en Guadeloupe, une histoire qui dure