Pierre Garcia : « En 1971, nous étions une bande de copains »

Publié le 10 octobre 2012 à 08h25 par Rodighiero

Interview. Vainqueur de la Coupe de France 1971, et entraîneur du Stade rennais durant trois saisons dans les années 1980, Pierre Garcia s'est confié pour Stade Rennais Online. Entretien passionnant et exclusif de l’une des figures de proue du football rennais.

Stade Rennais Online : Vous avez démarré votre belle carrière à l’Union Sportive de l’Ouest Mitidja, avant de jouer au Drapeau de Fougères. Pouvez-vous nous en parler ?

Pierre Garcia : « Vous savez, je suis d’origine « pied noir ». C’est donc tout naturellement que j’ai débuté en Algérie. J’ai ainsi défendu les couleurs de l’USOM jusqu’à mes dix-neuf printemps. Je suis ensuite arrivé en France en 1962. En fait, je me suis retrouvé à Fougères par hasard. Mon beau-frère y jouait déjà et m’avait proposé de venir le rejoindre. Et comme je ne connaissais personne dans le coin, j’ai décidé d’accepter la proposition. Je démarre en Division d’Honneur avec le Drapeau de Fougères, et j’effectue rapidement de très bons matches avec l’équipe première. J’y joue finalement une seule saison et rejoint le Stade rennais en 1963 ».

SRO : Quelles ont été les circonstances de votre venue à Rennes ?

PG : « J’ai tout d’abord été repéré par José Arribas, qui souhaite me faire venir sur les bords de l’Erdre. Je fais donc un stage à Nantes, qui se passe très bien. Au même moment, François Pleyer en prend connaissance en lisant le journal, et se positionne sur le marché. À l’époque, les clubs professionnels de Sedan et Valenciennes veulent également s’attacher mes services. Au final, j’opte pour le Stade rennais, qui me fait signer un contrat amateur en 1963. Ceci dit, je ne connais pas grand chose du SRUC. J’arrive en pleine période des Émile Grosshans, Henri Goues et consorts. J’effectue mon premier entraînement en compagnie de Mahi, Yvon Goujon et Stephan Ziemczak. C’était vraiment impressionnant d’évoluer avec ces joueurs-là. En plus, je n’avais jamais joué sur gazon. Seulement sur des stabilisés. Mais nous nous entraînions parfois sur l’ancien terrain de la conciergerie, qui était également en terre. Je n’étais pas dépaysé du coup ».

SRO : Quels souvenirs avez-vous conservé de votre premier match avec l’équipe fanion du SRUC, le 20 octobre 1965 à Bordeaux (défaite 2-1) ?

PG : « Je me souviens très bien de cette rencontre. Vous vous doutez bien qu’il est difficile d’oublier son premier match professionnel. Pour la petite histoire, je suis arrivé à Rennes comme attaquant. J’avais d’ailleurs marqué beaucoup de buts avec le Drapeau de Fougères en DH. Rennes compte alors sur moi pour dynamiser le secteur offensif. Mais contre Bordeaux, Jean Prouff me demande si je peux débuter le match comme arrière. Il me dit juste : « Tu peux jouer à ce poste ? ». Je lui réponds : « oui ». Et me voilà lancé dans le grand bain de la D1, avec des adversaires directs comme l’Argentin Hector De Bourgoing et le futur nantais Didier Couécou. « Monsieur Jean » avait pris un sacré risque en me positionnant comme défenseur. Mais je m’en suis plutôt bien sorti ce soir-là. Je ne joue cependant qu’une dizaine de matches par la suite. Je ne comprends d’ailleurs pas très bien pourquoi. Du coup, je suis démotivé et je veux partir de Rennes. Je songe même à redevenir amateur ».

SRO : Vous mettez finalement deux saisons avant de vous imposer en équipe première. Quel a été le déclic ?

PG : « De toute manière, j’avais signé une licence amateur au SRUC, et je n’avais pas d’autres possibilités que de rester à Rennes. À cette période, vous étiez lié au club à vie. C’était très compliqué d’outrepasser cette règle. J’ai d’ailleurs fait partie quelques années plus tard des footballeurs grévistes, qui ont obtenu la création des contrats à temps. Il a finalement fallu du changement au sein du club, pour que je réussisse enfin à me faire une place dans l’équipe. Le Stade rennais n’avait pas beaucoup d’argent dans les caisses, et a du se résoudre à faire jouer ses jeunes joueurs, comme Alain Cosnard ou Robert Rico notamment. Vous savez, lorsque je suis arrivé à Rennes, un entraîneur de l’époque m’avait même affirmé que je ne deviendrai jamais professionnel. Et puis un jour, c’est parti ».

SRO : À Rennes, vous avez côtoyé des grand joueurs tels que Velimir Naumović, André Guy ou Louis Cardiet notamment. Qu’avez-vous appris à leurs côtés ?

PG : « Ce n’était pas forcément évident de s’imposer à cette époque. Il n’y avait pas de centre de formation. On pouvait juste compter sur nos qualités intrinsèques. On s’en sortait si on réussissait, tout simplement. Aujourd’hui, les jeunes joueurs sont bien encadrés et apprennent tranquillement leur métier. Je ne peux pas vous citer un joueur en particulier, car il y a en beaucoup qui m’ont montré la voie à suivre, sans me donner de leçons ».

SRO : Pouvez-vous nous parler du parcours en Coupe de France 1971, de la finale à Colombes ?

PG : « Pour vous dire la vérité, je ne me souviens plus très bien de notre parcours dans le détail. Par contre, je me rappelle que l’on se qualifie sur un coup de poker contre Mantes-la-Ville. On s’en sort grâce à un pénalty discutable et discuté. C’est parfois grâce à de petits détails que l’on va loin dans une compétition. Et notamment en Coupe de France. Ceci dit, la finale à Colombes est gravée dans ma mémoire. C’est un souvenir impérissable. Nous étions une bande de copains, à qui rien ne pouvait arriver. Ce sont des moments uniques qui marquent une vie. Il y avait une ambiance extraordinaire dans le groupe, avec un Marcel Aubour qui était toujours en train de déconner, et des garçons d’expérience comme Velimir Naumović ou Silvester Takač. J’étais d’ailleurs très ami avec l’attaquant yougoslave. Nous nous entendions vraiment très bien. C’est assurément le plus grand joueur que j’ai fréquenté. J’ai également beaucoup de considération pour Louis Cardiet. C’est quand même le seul joueur à avoir remporté les deux Coupes de France du Stade rennais. Il mériterait d’avoir une loge à son nom, au stade de la route de Lorient. En plus, c’est quelqu’un de très modeste et de très sympathique. Son cœur est rouge et noir ».

SRO : Vous avez finalement disputé dix saisons chez les « Rouge et Noir » (entre 1963 et 1973). Quels ont été les meilleurs moments de cette époque stadiste ?

PG : « L’épopée en Coupe de France reste bien évidemment mon plus grand souvenir. Cette compétition a un parfum particulier. C’est vraiment l’épreuve par excellence, au contraire d’une Coupe de la Ligue, qui n’existait pas à notre époque. La Coupe de France est « populaire ». Elle permet aux petits de battre les gros. À cette période, nous avions une équipe capable de tous les exploits. Et dans le même temps, nous n’étions pas forcément très bons en championnat. On gagnait tous nos matches à domicile, mais nous n’arrivions pas à rééditer les mêmes performances à l’extérieur ».

SRO : Vous avez eu la chance d’être entraîné par Jean Prouff. Qu’avait-il de si particulier ? Vous a t-il donné l’envie de devenir entraîneur ?

PG : « Jean Prouff était un esthète. Il ne donnait pas forcément de consignes strictes, mais il mettait les joueurs en confiance. Grâce à lui, nous arrivions à nous « lâcher » sur le terrain. À cette époque, il faisait évoluer l’équipe en 4-2-4 avec notamment Raymond Kéruzoré en 9, et André Betta en 10. Mais ce dernier jouait le plus souvent à l’aile. Nous avions une équipe que certains observateurs considéraient comme « bancale », mais ça fonctionnait plutôt bien. Nous étions également très soudés. Nous faisions tous l’effort les uns pour les autres. Personnellement, je crois que j’avais le rôle d’entraîneur dans les gênes. J’ai toujours aimé ça ».

SRO : Vous retournez ensuite au Stade briochin en 1973, alors que vous avez encore réalisé une très belle saison. Quelles étaient les raisons de ce départ ? Regrettez-vous d’être parti à ce moment-là ?

PG : « J’ai quitté le Stade rennais en étant un peu écœuré. Les dirigeants m’avaient affirmé qu’ils me laisseraient libre, si je trouvais un autre club. Et puis, quand l’AS Monaco s’est positionné, ils n’ont plus voulu me laisser partir.
C’est vraiment dommage, car j’avais reçu une offre très intéressante de la part du club de la Principauté. C’était une grosse équipe à l’époque. Le SRUC n’avait pourtant pas beaucoup d’argent, mais je pense que le club ne voulait pas renforcer un concurrent direct en D1. Du coup, je suis retourné en tant qu’amateur à Saint-Brieuc, où j’ai passé six très belles saisons en DH ».

« Rennes, c’est toute ma vie »

SRO : Selon vous, quelle a été votre meilleure saison ?

PG : « Mes deux/trois dernières années avec le SRUC ont clairement été les plus fastes de ma carrière. À l’époque, nous avions une équipe rusée. Nous battions souvent les grosses écuries du championnat. Même si je ne jouais pas encore en équipe première, j’ai également pris beaucoup de plaisir à regarder le Stade rennais de 1965. Ça jouait vraiment très bien au football ».

SRO : Durant votre carrière, vous avez côtoyé de nombreux joueurs, lesquels vous ont le plus marqué ?

PG : « Comme je vous le disais précédemment, il y a eu Marcel Aubour, Velimir Naumović et Silvester Takač, pour ne citer qu’eux. Et puis tous mes copains de la campagne victorieuse en Coupe de France. Je les adore. On s’aime ».

SRO : Vous avez ensuite démarré une carrière d’entraîneur à Saint-Brieuc puis à Rennes. Qu’en retirez-vous ?

PG : « Lorsque j’arrive au Stade briochin, je deviens rapidement entraîneur-joueur du club costarmoricain en DH. Pendant ce temps, je passe tous les stages avant de réussir le DEPF (Diplôme d’Entraîneur Professionnel de Football). Il m’a fallu batailler pour l’obtenir. Ça n’a pas été facile tous les jours. Il y a beaucoup de candidats. Mais j’ai eu la chance d’être soutenu par Monsieur Paul Le Hesran, qui était le président de Saint-Brieuc à l’époque. Il est ensuite devenu secrétaire général de la Fédération française de football, et président de la Ligue de Bretagne. C’était un type formidable, grâce à qui j’ai accumulé de très bons souvenirs avec le Stade briochin. Mon diplôme en poche, le Stade rennais a souhaité me faire revenir. Rennes, c’est toute ma vie ».

SRO : À Rennes, vous prenez la succession d’Alain Jubert à l’aube de la saison 1979-1980. Dans la foulée, vous échouez lors des barrages face à Avignon. Avez-vous considéré cela comme un échec ?

PG : « Oui, c’est véritablement une grosse déception de ma carrière d’entraîneur. Au match aller contre Avignon, on ne fait pas le plein à domicile alors qu’on est quand même en course pour remonter en première division. J’ai l’impression que les supporters n’y croyaient pas. On ne passe finalement pas l’obstacle sudiste, alors qu’on avait largement les capacités pour s’imposer. Je crois même que le règlement avait changé l’année précédente. En ayant terminé à la seconde place, on aurait pu accéder directement à l’élite douze mois auparavant. La chance ne m’a pas vraiment souri pour le coup. J’effectue ensuite deux saisons supplémentaires à la tête du SRFC. À l’époque, les caisses du club sont désespérément vides. Nous ne savions même pas si nous allions être payés à la fin du mois. Pourtant, je suis quand même allé chercher des joueurs comme Robert Llorens, Guy Nosibor et Victor Mastroianni qui venait du RC Lens. Nous avions une équipe compétitive, avec laquelle nous effectuons deux bonnes saisons. Mais nous n’arrivons pas à passer le cap ».

Stade rennais, saison 1980-1981

SRO : Après avoir passé le témoin à Jean Vincent, vous entraînez Abbeville, Quimper (par deux fois) et le SCO notamment. Qu’avez-vous retenu de vos différents périples ?

PG : « Sincèrement, j’ai bien vécu toutes mes expériences. Je n’ai jamais été carriériste, mais je faisais mon métier le mieux possible. À chaque fois, ce sont les clubs qui sont venus me chercher. Certainement parce que je jouissais d’une bonne aura dans le milieu. J’ai toujours posé quelques conditions, mais qui n’étaient jamais inabordables. Avec Abbeville, nous avons régulièrement réalisé des exploits pour une petite ville de 20.000 habitants. Nous étions une sorte de Guingamp. Nous avons souvent battu des formations plus huppées, en Coupe de France notamment. Rennes n’arrivait d’ailleurs jamais à nous battre. Abbeville a toujours été un chat noir pour le Stade rennais. J’obtenais ainsi une petite revanche à chaque fois, même si c’était plus un petit clin d’œil du destin qu’autre chose. J’effectue ensuite une bonne saison à Angers en 1987. J’ai aussi entraîné le Stade quimpérois pendant quatre années au total. J’ai vécu de très bons moments en Cornouaille, surtout lors de mon premier chapitre. Nous pratiquions un football de qualité, avec des joueurs du cru. Avec l’arrivée des capitaux du Centre Leclerc, le « Stade Q » a clairement affiché son ambition de monter en D1. Mais Quimper s’est ruiné en allant chercher des joueurs un peu partout. Je signe ensuite à Rouen, où je passe trois mois catastrophiques. Je ne me suis jamais adapté en Seine-Maritime ».

SRO : Aujourd’hui, que devenez-vous ? Côtoyez-vous toujours d’anciens joueurs du Stade Rennais ?

PG : « J’ai vécu plusieurs années en Corse, et je voyais Marcel Aubour de temps en temps. Depuis, je suis retraité et je vis désormais à Rennes. Ceci dit, je me suis un peu éloigné des stades. De ce fait, je ne vais pas beaucoup aux matches, mais je compte bien y retourner plus régulièrement ».

SRO : De manière générale, quel regard portez-vous sur les performances rennaises depuis le début de la saison ? Que manque-t-il au club pour franchir ce fameux palier ?

PG : « Je vous avouerai que je n’ai pas forcément un avis tranché sur la question. En tout état de cause, je sais combien c’est difficile d’entraîner un club au haut niveau. En outre, je n’ai aucune leçon à donner à qui que ce soit. Je suis un supporter du Stade rennais. Je suis triste quand l’équipe perd, et heureux quand elle gagne. Le SRFC a manqué de peu le podium en 2007, et a ainsi raté le coche. C’est une évidence. Vous savez, si le club me fait frémir de temps en temps, c’est déjà très bien. Du moment qu’ils font de bons matches, je suis satisfait. Pour franchir un palier, il faut beaucoup d’argent. Si l’on veut arriver au top niveau, il n’y a pas de secret. Sur la scène européenne, seul le Paris Saint-Germain a les moyens de ses ambitions à l’heure actuelle. Et puis, un parcours en Coupe est toujours possible. C’est moins long que le championnat. Et ça va bien finir par sourire un jour ».

Merci à Pierre Garcia pour sa disponibilité.

Stade quimpérois, exercice 1989-1990

Sources photo :
srfc.frenchwill.fr
forum footnostalgie

Vos réactions (6 commentaires)

  • Paul André

    10 octobre 2012 à 11h44

    Et si on se retrouvait pour prendre un pot ???
    Paul André Chamion de l’Ouest Juniors avec JF Prigent, Guy Biet etc.)

  • Louis G

    10 octobre 2012 à 19h24

    Pierre Garcia un joueur sympathique qui a fait toujours le job comme joueur et aussi comme entraineur au Stade Rennais...sa modestie d’aujourd’hui semble être la même que celle que nous avons connu au Stade Rennais...pour moi il reste parmi les joueurs et les entraineurs que j’ai le mieux apprécié dans mon Club de coeur !...

  • mururoa

    11 octobre 2012 à 07h37

    Les parties de tarot derrière la Poste étaient sympas et permettaient de discuter avec les joueurs. A l’époque, ils étaient disponibles. Nostalgie...

  • klose35

    11 octobre 2012 à 10h52

    l une des figures les plus discrete et modeste du Stade.....mais l un de nos irremplacables souvenirs.....graver a jamais au pantheon Rennais...et pour cause....

  • ESYLANA

    12 octobre 2012 à 09h48

    Un homme sage P. GARCIA.......
    Moi aussi j’ai beaucoup aimé NAUMOVIC ET TAKAC , sa conclusion est à méditer ! et à relire !!
    REGARD sur le stade Rennais..
    PG : « Je vous avouerai que je n’ai pas forcément un avis tranché sur la question. En tout état de cause, je sais combien c’est difficile d’entraîner un club au haut niveau. En outre, je n’ai aucune leçon à donner à qui que ce soit. Je suis un supporter du Stade rennais. Je suis triste quand l’équipe perd, et heureux quand elle gagne. Le SRFC a manqué de peu le podium en 2007, et a ainsi raté le coche. C’est une évidence. Vous savez, si le club me fait frémir de temps en temps, c’est déjà très bien. Du moment qu’ils font de bons matches, je suis satisfait. Pour franchir un palier, il faut beaucoup d’argent. Si l’on veut arriver au top niveau, il n’y a pas de secret. Sur la scène européenne, seul le Paris Saint-Germain a les moyens de ses ambitions à l’heure actuelle. Et puis, un parcours en Coupe est toujours possible. C’est moins long que le championnat. Et ça va bien finir par sourire un jour ».
    Sage et lucide

  • 13 octobre 2012 à 11h07

    Un « monsieur » dans la panthéon de notre Club préféré

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