Robert Rico : « Rennes était mon choix numéro 1 »

Stade Rennais Online : Vous êtes recruté par Rennes à l’intersaison 1964, en provenance de l’US Concarnoise. Quelles ont été les circonstances de votre venue au Stade rennais ?

- Robert Rico : « Je suis recruté par François Pleyer (ancien joueur du SRUC puis recruteur), et ce avant même la fin de saison - au mois de mars 1964. À l’époque, je joue à Concarneau en DHR et nous effectuons une superbe saison. Nous devenons d’ailleurs champions de l’Ouest. Plus jeune, j’étais régulièrement sélectionné avec les cadets de l’Ouest, et le Stade rennais UC avait un œil sur moi depuis quelques années déjà. En général, les cadets de l’Ouest étaient recrutés par les trois gros clubs de l’Ouest : Rennes, Nantes et Angers. Personnellement, je voulais faire une carrière dans le football, et Rennes était mon choix numéro 1. À l’âge de 19 ans, j’effectue mon service militaire dans la 3ème CRT, en même temps que d’autres joueurs de ma génération, comme Paul Trotel de Saint-Brieuc, Alain Cosnard, Jacques Rossignol, Daniel Rodighiero et d’autres bons joueurs qui évoluaient alors à Saint-Malo ».

SRO : À l’époque, d’autres clubs de l’élite étaient-ils intéressés par vos services ?

- RR : « Oui, j’avais été approché par Bordeaux et Monaco. Il faut dire qu’avec l’USC, nous avions également réalisé un remarquable parcours en Coupe Gambardella, puisque nous avions atteint les quarts de finale de la compétition, éliminés par Le Havre à Nantes. J’avais surtout été remarqué lorsque nous jouions en lever de rideaux des équipes professionnelles, car nous étions ainsi sous les feux des projecteurs. En outre, je ne voulais pas aller trop loin, donc Rennes, c’était le meilleur compromis ».

SRO : Quels souvenirs avez-vous conservé de votre premier match avec l’équipe fanion du SRUC, le 30 avril 1966 à Saint-Ouen face au Red Star ?

- RR : « Mon premier match professionnel m’a beaucoup marqué, bien évidemment. Nous avions gagné 3 buts à 1. Ce soir-là, j’avais constaté la différence entre le niveau amateurs et la première division. L’engagement était certes, beaucoup plus "homme", mais je n’avais pas trouvé cela plus difficile qu’en D3. Au fil des années, j’ai remarqué qu’il était plus facile de jouer en haut plutôt qu’en bas. J’ai disputé l’essentiel de ma carrière en D1, mais ma première saison en D2 avec Nancy (1974-1975) fut vraiment la plus difficile ».

SRO : Vous avez finalement disputé sept saisons chez les « Rouge et Noir » (entre 1964 et 1971), quels sont vos meilleurs souvenirs de cette époque stadiste ?

- RR : « Je ne garde que de bons souvenirs de mon passage à Rennes. Même si je ne joue pas lors de la première victoire en Coupe de France (1965), cela reste un souvenir intarissable et un grand moment de liesse surtout. Et puis la victoire en 1971, c’est bien évidemment un grand bonheur. Sur le plan personnel, qui plus est, je fais une très bonne saison. En championnat, nous sommes également longtemps premiers, mais il faut admettre que nous avions plus une équipe de coupe que de championnat. Nous avions pourtant un très bon collectif, mais pas suffisamment pour ambitionner le titre de champion. La Coupe de France, c’était notre championnat à nous, en quelque sorte. Dès le début de saison, nous savions que cette épreuve mythique deviendrait notre objectif. Nous étions toujours dans le ventre mou du championnat, et c’était la seule façon de faire parler de nous. Et puis, c’est vrai que l’on produisait un bon football grâce à notre entraîneur, connu pour être un adepte du beau jeu ».

SRO : Durant votre carrière, vous avez évolué aux côtés de très grands joueurs, lesquels vous ont le plus marqué ?

- RR : « Si je dois n’en retenir qu’un : je dirais Louis Cardiet, parce que l’on ne met pas assez souvent en valeur la qualité des défenseurs. Mais aussi parce que je jouais devant lui, et que j’ai pu le voir à l’œuvre pendant de nombreuses années. Je n’ai jamais connu un joueur avec de telles facultés, on jouait du même côté et on s’entendait bien. Il piquait le ballon aux attaquants sans même tacler, il les muselait sans faire de fautes, c’était juste incroyable. "Loulou" Cardiet était également très technique et avait beaucoup de qualités, tant humaines que sportives. C’est vraiment le joueur qui m’a le plus impressionné. On peut également rajouter Zygmunt Chlosta, Raymond Kéruzoré avec qui j’ai joué un ou deux ans, Daniel Rodighiero, Sylvester Takac et bien sûr Marcel Loncle ».

SRO : Vous avez inscrit 37 buts pour le SRUC (toutes compétitions confondues). Y’en a t-il un qui vous a plus marqué que les autres ?

- RR : « Oui, toujours en Coupe de France (huitièmes de finale), lors de la saison 1969-1970. À l’aller, on gagne chez nous 3 buts à 2 face à Lyon et je score deux fois. Et puis surtout, je marque le but égalisateur à Lyon (1-1), qui nous qualifie pour les quarts de finale de l’épreuve ».

SRO : Pouvez-vous nous parler du parcours en Coupe de France 1971, de la finale à Colombes ?

- RR : « Finalement, nous sommes surtout accrochés par Mantes-la-Ville lors des huitièmes de finale. C’est Serge Lenoir qui marque sur pénalty au match aller, et puis on fait 1-1 là-bas, alors que l’on aurait dû s’imposer plus facilement. Ensuite, nous éprouvons quelques difficultés face à Monaco, puisque nous perdons le match aller 2-0, mais nous gagnons facilement au retour sur un score net de 4 buts à 0. Une semaine avant la finale, nous passons trois jours aux thermes de Saint-Malo pour une mise "au vert", qui était une chose assez rare à l’époque. Nous étions vraiment "chouchoutés", pendant que toute la Bretagne était en ébullition. Une vraie liesse populaire. On m’en parle encore tout le temps de cette finale, mais surtout parce que Rennes n’a rien gagné depuis ».

SRO : Entre temps, vous avez été sélectionné une fois en équipe de France, le 15 novembre 1970 face à la Belgique au stade du Heysel, qui sera le théâtre quelques années plus tard, du plus grand drame de l’histoire du football. Quels souvenirs gardez-vous de ce moment unique ? Ce soir-là, vous évoluez aux côtés d’un ancien stadiste, Loulou Floch (AS Monaco).

- RR : « Ce sont effectivement mes retrouvailles avec "Loulou". Et c’est également un petit clin d’œil du destin, puisque je devais aller à Monaco avec lui, mais je n’avais pas réussi à me mettre d’accord sur les modalités de mon transfert avec le club princier. Je suis très heureux d’être sélectionné. Porter le maillot bleu, quand tu es gamin, c’est un rêve. Entendre les hymnes, c’est toujours un grand moment. À l’époque, Georges Boulogne est le sélectionneur national et il n’est pas très enclin à sélectionner les joueurs rennais. En fait, c’est plutôt en partie grâce aux journalistes que je suis dans la liste des joueurs sélectionnés... Quelques jours avant la rencontre, Georges Bereta se blesse et les journalistes me plébiscitent largement, car je suis certainement un des meilleurs joueurs à mon poste à cette période. La même année, je suis également sélectionné en équipe de France espoirs par Gaby Robert, et je remporte ainsi la Coupe latine avec Raymond Kéruzoré et Serge Lenoir notamment. Je joue également en équipe de France B (catégorie qui n’existe plus aujourd’hui) face au Luxembourg ».

SRO : Vous quittez finalement le SRUC après cette sublime victoire en 1971, pour rejoindre le mythique club du Stade de Reims. Pourquoi ? Quelles étaient les raisons de ce départ ? Regrettez-vous d’être parti à ce moment-là ?

- RR : « 1971, c’est l’année où le "contrat à temps" arrive. À cette époque, je dois encore un an de contrat au Stade rennais, mais je suis sollicité également par l’Olympique de Marseille. Je rencontre alors les dirigeants rennais, et j’explique que je veux bien prolonger deux années supplémentaires, mais sous quelques conditions. Rennes n’accepte pas ma proposition. Et puis, je dispute la finale des champions (NDLR : ancienne version de l’actuel Trophée des champions) à Brest entre le SRUC et Marseille, lorsque Jean Prouff vient me voir à la mi-temps du match et m’informe que Reims souhaite me faire signer. Il me précise aussi que le SRUC a déjà trouvé un accord avec le club champenois. Trois jours plus tard, je signe là-bas. Je me débrouille tout seul, car il n’y avait pas encore d’agent à l’époque pour s’occuper de tes intérêts. Lorsque j’ai 14 ans, Reims c’est le grand club de Kopa et consorts... et je rêve d’y jouer un jour. Reims, du point de vue de la notoriété, c’est également un grand bond en avant. Là-bas, je vais côtoyer de grands joueurs, même si le club est alors sur le déclin. Delio Onnis est d’ailleurs le plus grand attaquant que j’ai connu. Il ne courait pas beaucoup mais c’était un véritable renard des surfaces, toujours bien placé. Il faisait toujours de très bons appels et il était diablement adroit. il y avait aussi Georges Lech, le meilleur joueur de notre génération, César-Auguste Laraignée et Marcel Aubour avec qui j’avais joué à Rennes ».

« À Nancy, je joue avec Michel Platini, et c’est moi qui porte le numéro 10 »

SRO : Ensuite, vous disputez une saison à Bordeaux lors de l’exercice 1973-1974. Cette saison du côté de la Gironde est-elle à ranger du côté des bons moments ?

- RR : « À ce moment-là, j’avais le choix entre le Red Star, toujours Monaco ou les Girondins de Bordeaux. J’ai finalement opté pour la Gironde, car le club avait acquis une certaine renommée française et européenne. Et puis, Bordeaux est une jolie ville et la mer n’est pas loin. Ceci dit, cette expérience n’a pas été très enrichissante. Avec le recul, j’ai peut-être fait un mauvais choix en signant là-bas. Nous n’avions pas une très grosse équipe, mais j’ai quand même eu la chance d’évoluer aux côtés d’un très grand joueur, Alain Giresse ».

SRO : Mais quand même, le SRUC, c’est LE club de votre carrière ?

- RR : « Bien entendu, sans hésitation. Même si j’ai beaucoup aimé mon périple rémois avec le "paternel" alias Henri Germain, qui est le plus grand président que j’ai connu, Rennes c’est le club de mes débuts, celui où j’ai passé le plus de saisons. J’y ai mes repères et j’y ai vécu mes plus belles émotions. Et pourtant après Bordeaux, je suis parti à Nancy alors que le LOSC voulait m’engager. En Lorraine, je deviens champion de France de seconde division en 1975. On bat Valenciennes (0-0 et 4-0) pour le titre de champion. Cette année-là, je joue avec Michel Platini, et c’est moi qui porte le numéro 10. Michel, lui, joue en 8. Enfin, je termine ma carrière à Saint-Dié dans les Vosges près d’Épinal. Je joue ainsi mes deux dernières saisons en D2 ».

SRO : À l’heure actuelle, côtoyez-vous toujours d’anciens joueurs du Stade Rennais ?

- RR : « Après la fin de ma carrière de footballeur professionnel, j’ai continué à jouer lors des réunions d’anciens joueurs. De ce fait, je côtoie toujours des anciens joueurs internationaux ou ex-coéquipiers, notamment Jean Djorkaeff, Marcel Aubour, Georges Lech, Jean-Pierre Darchen et même Raymond Kopa et Roger Piantoni, les anciens de Reims. Une chose est certaine, le football a ce pouvoir de rassembler plusieurs générations ».

SRO : Votre frère, Jocelyn, a aussi défendu les couleurs rennaises (de 1990 à 1993). Quel a été votre regard sur son passage à Rennes ?

- RR : « Je pense qu’il n’est pas arrivé à la bonne période, car Rennes venait de descendre en D2. Alors qu’il avait très bien débuté au Stade Brestois, il n’a pas vraiment eu de chance. C’est surtout dommage qu’il soit tombé du temps où Rennes n’était pas très convaincant ».

SRO : Après votre carrière de footballeur, quel a été votre parcours ? Que devenez-vous ?

- RR : « J’ai ensuite travaillé vingt ans comme commercial. Maintenant, je joue au football sur la plage de Dinard le dimanche matin, qu’il fasse beau ou mauvais (rires) ».

SRO : Suivez-vous toujours l’actualité du club de la capitale bretonne ?

- RR : « Je suis resté un assidu de la route de Lorient, je vais presque à tous les matches. Lorsque je ne peux pas me déplacer au stade, je ressens comme un manque. Je suis également ravi de retrouver les anciens joueurs du SRUC, tels que Khennane Mahi, Jean-Pierre Darchen et d’autres, pour reparler du bon vieux temps mais aussi de la trajectoire du football moderne ».

SRO : Rennes est quatrième à huit journées de la fin (NDLR : entretien réalisé le 12 avril). Pensez-vous le SRFC capable de décrocher une place pour la Ligue des champions ? De façon générale, quel regard portez-vous sur les performances rennaises cette saison ?

- RR : « Cette saison, je trouve que les bases sont solides. Rennes a une bonne défense mais n’est pas suffisamment offensif à mon goût. Clairement, le point fort du Stade rennais se trouve dans sa défense. Les attaquants défendent également, et font partie intégrante de la grande réussite du club rennais. Si le SRFC décroche la cinquième place, je pense qu’il aura réussi son parcours. Pour moi, une cinquième place refléterait le niveau de l’équipe. Il manque un petit quelque chose pour espérer mieux. La jeunesse de l’effectif fait un petit peu défaut sur cette fin de saison. Je pense également que Lille ferait un très beau champion. C’est la meilleure équipe de Ligue 1 ».

SRO : Que pensez-vous de Frédéric Antonetti ? Est-il l’entraîneur qui sera capable de faire franchir le fameux palier qui sépare le club du statut de prétendant à l’Europe à prétendant au titre ?

- RR : « Les résultats sont intéressants, et Frédéric Antonetti n’y est pas étranger. Il est peut-être un peu trop exubérant, mais cela fait partie de son tempérament. À l’heure actuelle, il gère beaucoup de jeunes joueurs, mais est-ce qu’il va pouvoir conserver son effectif ? Je pense qu’il va falloir le renforcer, car ce n’est pas suffisant en prévision d’une future qualification européenne. Pour franchir un palier, il faut gagner quelque chose pour ensuite voir plus haut. En dépit des blessures récurrentes, Antonetti gère bien le coup et c’est tout à son honneur. C’est une belle équipe en devenir, mais il faut absolument garder l’ossature actuelle ».

Merci à Robert Rico pour sa disponibilité.

Sources photo :
- Claude Loire, Le Stade rennais, fleuron du football breton 1901-1991, Éditions Apogée
- srfc.frenchwill.fr
- forum footnostalgie
- e-monsite.com