ENTRETIEN / Lindsay Rose : « Rennes fait partie des grands clubs français »
Publié le 2 décembre 2022 à 17h14 parLe 16 février 2023, le Stade rennais affrontera le Chakhtior Donetsk en Pologne, compte tenu du contexte actuel de guerre en Ukraine. Plus précisément, ce barrage aller pour les huitièmes de finale de Ligue Europa se déroulera au stade Józef Piłsudski, enceinte du Legia Varsovie. Une équipe où évolue aujourd’hui le Rennais Lindsay Rose, passé par le centre de formation du SRFC. Ses débuts à Rennes, son passage au centre où il n’a pas été conservé, puis sa carrière qui l’a menée au Legia, SRO est allé prendre des nouvelles du défenseur de 30 ans, aujourd’hui épanoui.
Lindsay, tu es né à Rennes. Où as-tu commencé le foot ?
Je suis Rennais, issu des quartiers sud. J’ai grandi là-bas. J’adore ma ville. J’ai commencé au Blosne, au CPB. On faisait souvent des plateaux, les premiers étaient à la TA puis ensuite à Bréquigny sur le stabilisé à l’époque. J’affrontais déjà le Stade rennais dans ma poule. On les battait, et c’est pour ça qu’avec un autre joueur on a été au Stade rennais ensuite.
Que représentait le Stade rennais avant de l’intégrer pour toi ?
C’est un rêve d’aller au Stade rennais. Quand tu es issu des quartiers de Rennes, que tu es Rennais, l’objectif principal c’est Rennes. À l’époque des Shabani Nonda, c’était fou, on ne pensait qu’à ça, à vouloir aller au Stade rennais, dans le stade de la route de Lorient. C’était vraiment fou de jouer contre eux (en jeunes). Leurs équipements étaient magnifiques, rouge et noir. Tu avais cette petite frayeur en jouant contre eux, tu avais l’impression de jouer contre les pros, alors que pas du tout, tu jouais contre des copains d’école à toi. C’était drôle.
Quand on joue contre le Stade rennais à cet âge, y a t-il l’envie de se démarquer, de se faire voir ?
À mon âge, non, tu ne penses pas à te démarquer pour signer là-bas. Peut-être que tes parents, inconsciemment oui. Mais toi, tu joues contre la grosse équipe, et tu n’as qu’une envie, c’est de gagner. Tu veux battre la grosse équipe. C’est quand même le club de la ville, le meilleur club de la région. Encore davantage maintenant.
À partir de quand commences-tu à être vu par le Stade rennais ?
J’étais surclassé à l’époque, avec les 1990, deux ans de plus que moi. On a fait un plateau en poussins à Saint-Jacques. On joue contre le Stade rennais et on avait gagné, bien comme il faut. Didier Le Bras, paix à son âme, est parti voir mon père dans la foulée, et j’ai suivi Didier pendant 4 ans ensuite. Je rentre au Stade rennais à 9 ans.
Est-ce que tu te souviens de ton premier jour au Stade rennais ?
On était à Moulin du Comte, un mercredi matin. C’était José Rodriguez le directeur de l’école de foot. C’était un moment particulier, c’est mon grand-père qui m’avait emmené. Je suis arrivé dans ce vestiaire, je m’en rappelle bien. J’ai pu faire toutes mes gammes sur ce terrain stabilisé. C’était une grosse fierté pour moi de pouvoir signer au Stade rennais.
« J’avais 15 ans et le monde s’écroule »
Comment ça se passe à cet âge, de l’école de foot au centre de formation ?
Ce n’est pas facile. Je le vois aujourd’hui avec mes enfants. Tu es baigné dans l’ambiance professionnelle même si tu es à l’école de foot. Tu as tout de suite de la rigueur, des bases techniques et tactiques d’entrée. Ce n’est pas facile mais c’est un plaisir car quand tu arrives à passer les étapes, ça te parait tellement évident. Tous les ans tu te rapproches de ton but et au début tu ne penses pas forcément à devenir professionnel. Moi c’était clair dans ma tête, mais chaque année quand ils te disent qu’ils te gardent, tu y crois de plus en plus.
C’est très stressant, même pour les parents, mais quand tu arrives au bout, c’est beau. Tu as 8 ans et tous les ans tu vois la moitié de tes potes qui s’arrêtent là. Tu les rejoues l’année suivante contre Bréquigny, Cleunay, Chartres, Cesson. Puis quand tu arrives au centre de formation, tu as tous les joueurs de Clairefontaine et des centres de préformation qui arrivent ensuite. Ça devient beaucoup plus dur, professionnel et requin. Eux avaient tous des contrats élite ou aspirants. Nous Rennais, on avait rien, juste une licence à l’année. On n’était pas privilégiés. Ce n’était pas facile pour nous, mais on avait cette facilité de pouvoir rentrer chez nous le soir, voir nos parents, nos potes. On avait une vie « normale » au début du centre de formation.
Comment vit-on le fait de se battre pour un contrat à 12-13 ans ?
Ce n’est pas facile. Certains jouent, d’autres pas. Tu peux être repositionné. Tu es toujours dans la recherche. Tu dois être performant alors que tu as 12 ans. Tu n’as pas fait ta puberté alors que l’autre si. Le rôle d’un éducateur à cet âge là c’est vraiment fou, car tu dois essayer de manager tout ça. Mentalement pour un enfant c’est dur. Je ne sais pas s’ils l’ont fait, mais aujourd’hui ils devraient mettre en place un service pour parler de ça. Il faut que les éducateurs aient cette approche psychologique car c’est dur. Et quand tu n’es pas conservé, l’après-échec est difficile à digérer.
Au centre de formation, on sent tout de suite que le contexte change ?
Oui. Et nous, on avait que des contrats d’un an et non pas de trois ans comme d’autres. Tu te dis forcément qu’ils sont privilégiés par rapport à toi. À l’époque on le voyait quand on était à l’intérieur. Tu te rapproches du but, encore. Et surtout, tu as 15 ans et tu vois des gars qui étaient avec toi au collège s’entrainer avec des pros. Tu te dis que c’est juste là, on y est. Lui a réussi, pourquoi pas toi ? Tu travailles encore plus.
Tu fais une année au centre de formation, et tu n’es pas conservé. Pourquoi ?
Pour différentes raisons. À l’époque, certains éducateurs ne croyaient pas en moi, surtout un, Yannick Menu. C’était son choix. J’ai toujours dit que je respectais les choix, même si à l’époque c’était dur. C’est peut-être ça aussi qui a fait qu’aujourd’hui je suis footballeur professionnel, car j’ai eu une motivation supplémentaire ensuite. On était que deux à ne pas être conservés à cette époque, avec Jordan Nkololo, et on est tous les deux pros aujourd’hui. L’histoire est belle.
Aujourd’hui tu as le recul pour dire ça. Mais sur le coup, qu’est-ce que ça t’a fait ?
J’avais 15 ans et le monde s’écroule. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Le directeur du centre de formation à l’époque, Patrick Rampillon, avec qui j’ai de très bons rapports aujourd’hui, m’avait annoncé la mauvaise nouvelle. On s’est serrés la main, j’ai quitté le bureau, et je me suis mis à pleurer tous les larmes de mon corps. Je suis parti à l’arrêt de bus, j’ai pleuré au moins 5 minutes. J’étais inconsolable. C’était dur. Tu te dis « Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi ? ». Tu remets tout en question. « Est-ce que je n’ai pas été bon ? Est-ce que le coach ne m’aime pas ? Est-ce que je n’ai pas assez travaillé à l’école ? » Patrick Rampillon m’avait expliqué pourquoi, les éducateurs font des choix, et je ne faisais pas partie de ces choix là.
Comment est-ce qu’on retrouve la volonté d’aller chercher autre chose ?
Je suis allé faire des essais dès mi-mai, à Brest qui m’avait contacté. Ça s’était super bien passé. Mais c’était Anthony Rimasson, ancien de Rennes, qui était entraîneur là-bas, et ne m’avait pas pris. Il m’avait dit que je n’avais pas le bon comportement sur le terrain. Je rentre chez moi, déçu, puis ma mère me trouve un essai à Laval. C’était un mercredi, j’ai payé mes billets de train, c’était un coût pour moi. Il y avait une opposition de 3 mi-temps de 30 minutes. Je commence sur le banc, je me dis « Qu’est-ce que je fous là ? ». Deuxième mi-temps je démarre, et au bout de 10 minutes, on me sort et on me dit d’aller au vestiaire. Puis Denis Zanko, directeur du centre de formation à l’époque, me dit que c’est bon, qu’ils me veulent pour l’année prochaine, qu’ils me rappellent pour formaliser ça.
Laval était en National, et rate la montée Ligue 2 à la dernière journée. Le club me rappelle pour me dire qu’ils ferment le centre de formation, qu’ils ne pourront pas me recruter, mais qu’ils essayeront de dégager des fonds pour le faire. Ils me demandent d’attendre 10 jours, je leur dit ok, je promets. Deux jours plus tard, je reçois un appel de Brest, de Jean-Yves Kerjean, qui me dit qu’il a vu mon essai, et que si les U16 ne me veulent pas, lui avec la réserve de CFA me veut. Je lui dis que j’ai fait une promesse à Laval. Je rappelle Laval pour les prévenir, et trois jours plus tard ils m’ont dit que c’était bon, qu’ils dégageaient les fonds pour moi. J’ai rappelé Monsieur Kerjean, il a compris, et j’ai été à Laval. Entre temps, j’ai failli arrêter le foot je ne sais pas combien de fois. Puis ça s’est super bien passé à Laval dès le début, avec notamment Jean-Fabien Peslier, aujourd’hui à Rennes. Sans lui, je ne serais pas là aujourd’hui. Je ne l’oublierai jamais.
« Aujourd’hui, des joueurs préfèrent aller à Rennes plutôt qu’à Lyon »
Quand as-tu recroisé le Stade rennais pour la première fois ?
C’était en match amical avec Laval, en préparation, à Saint-Grégoire. Je jouais contre des gars avec qui j’étais en centre de formation. Il y avait les M’Vila, Camara, Le Tallec. Ma famille était venue me voir, j’étais fier. Ça restait un match amical mais j’étais quand même fier de me dire, « Moi qui n’ait pas été conservé, je peux jouer en Ligue 2, à 17 ans. »
Plus tard avec Valenciennes, tu inscris même ton premier but en Ligue 1 face au Stade rennais.
En fin de saison oui, de la tête. C’était une émotion incroyable, mais je n’ai jamais été revanchard contre Rennes. Ça reste mon club de coeur. Par contre j’étais fier de marquer contre eux, comme quand j’étais petit. En revanche la saison suivante, je vais jouer au stade de la Route de Lorient, avec Valenciennes. J’avais pris 40 places, pour toute ma famille. Et je me fais les croisés à la 43ème minute, chez moi, à Rennes. J’avais ramené tout le quartier, et je me fais les croisés. Horrible. En plus, c’était au moment où j’avais pas mal de clubs d’Europe sur moi, dont Crystal Palace, qui avait fait une offre en août. J’avais eu un accord avec le club pour partir en janvier. Je me fais les croisés en octobre. Quelques jours avant, j’avais marqué avec l’équipe de France espoirs, j’étais bien.. C’est le football.
Tu connais ensuite plusieurs clubs, dont Lyon, où tu rencontres Bruno Genesio. Quel entraîneur était-il ?
Il était adjoint d’Hubert Fournier à cette époque, avant de passer entraîneur principal. Je l’ai eu peu de temps. On se respectait énormément. Il avait d’autres plans pour moi et ne comptait pas me faire jouer, mais il me respectait car j’étais un bosseur, et moi pareil. J’ai respecté son choix et j’ai décidé de partir à Lorient en prêt.
As-tu continué à suivre Rennes ?
Bien sûr, je les ai toujours suivi, peu importe où j’étais. C’est mon club. C’est incroyable comme il a évolué. Il a pris une envergure européenne. C’est un club de haut de tableau maintenant. Aujourd’hui, des joueurs préfèrent aller à Rennes plutôt qu’à Lyon. C’est dire à quel point le club a changé. Tu vas à Rennes, tu es considéré comme si tu allais à Lille, à Marseille, à Lyon, à Monaco. Rennes fait partie des grands clubs français. Historiquement déjà. Mais surtout maintenant en terme de niveau de jeu et d’ambition européenne. Je ne suis pas surpris de l’évolution. Quand tu mets des bonnes personnes à la tête, ça fait les choses.
Es-tu surpris qu’il y ait autant de jeunes dans le groupe, et que ça marche ?
Non, car Rennes a toujours fait jouer les jeunes. Il y a eu des Brahimi, Dembélé… Quand en plus tu prends un coach et un directeur sportif qui eux font jouer les jeunes… Je ne suis pas surpris. C’est ça qui est beau. Le club a pris une autre envergure, mais a continué à garder son objectif formation. Des clubs se sont perdus comme ça, Rennes non. En ce moment j’aime bien Désiré Doué. À l’époque j’adorais Gerzino Nyamsi. Ces dernières années, j’ai l’impression que Rennes accentue l’intérêt sur son vivier, avant d’aller chercher des joueurs ailleurs.
« Je ne m’interdis rien »
Tu joues aujourd’hui au Legia Varsovie. Comment ça se passe ?
Ma carrière s’est faite en dents de scie. Le Legia Varsovie, c’est l’un des plus grands clubs d’Europe centrale. Je venais de Grèce (Aris Salonique, ndlr), c’était comme si je retournais à Lyon. Ici, les installations sont dignes du très très haut niveau. L’engouement des supporters au stade aussi. C’est un championnat pas très médiatisé en France, mais de qualité. On le voit avec beaucoup de joueurs polonais qui s’exportent à l’étranger notamment.
Comment s’est passée l’adaptation ?
Très difficile. La première année a été très dure, surtout les premiers mois. Après la Grèce, ça a été un changement climatique radical. L’approche est différente, le jeu est beaucoup plus physique, dans l’intensité aussi. Après le championnat anglais, c’est celui où il y a le plus de courses, d’efforts. Mais depuis quelques mois maintenant, je me régale. Je prends un plaisir fou.
Qu’est-ce qui a été le déclic ?
S’ouvrir un peu plus aux gens, aux coéquipiers. Tu arrives dans une autre culture, tu fais l’effort d’apprendre le Polonais. L’adaptation était compliquée aussi car on avait de mauvais résultats. Cette année, on marche plutôt bien.
Le Stade rennais affrontera le Chakhtior Donetsk dans le stade du Legia Varsovie. Ces derniers mois, le Chakhtior s’est installé à Varsovie par moments. Comment avec-vous vécu cette cohabitation ?
C’est un beau stade de 35 000 places environ, fermé, rénové. Un stade moderne, de qualité. Ils s’entraînent dans notre centre d’entraînement, qui est ultra-moderne. On a 12 terrains, c’est incroyable. On a dégagé un secteur, comme un petit centre d’entraînement à l’intérieur du centre. On se croisait, mais on était rarement ensemble. C’est vrai que c’est drôle. On pouvait s’observer un petit peu. En soi on les croisait rarement, une fois par semaine, car ils étaient tout le temps en déplacement.
Assisteras-tu au match le 16 février ?
Bien sûr que je vais y aller ! Je vais ramener mes enfants avec leurs maillots de Rennes, et on va rigoler. On va y aller avec grand plaisir.
Dimanche également, la France affrontera la Pologne en huitièmes de finale de coupe du Monde. Un match tout aussi particulier pour toi.
Effectivement, ça reste une rencontre particulière que je vais suivre, entre la France et un pays dans lequel je joue et où j’ai beaucoup d’amis polonais. Je vais supporter la France naturellement. Ça va être drôle car je vais venir dimanche à l’entraînement avec mon maillot de l’équipe de France. Je vais leur mettre la pression (rires). La Pologne est un pays qui aime le football, ça va être une bonne ambiance.
À 30 ans, de quoi as-tu envie pour la suite de ta carrière ?
J’ai encore un an et demi de contrat au Legia Varsovie. Je veux gagner le titre, et faire le doublé, pour jouer la coupe d’Europe l’année prochaine. Maintenant, je n’exclus pas un retour en France dans les années à venir, avec un projet qui m’intéresserait. Je me sens super bien physiquement. J’ai beaucoup d’expérience, à 30 ans, j’ai envie de pousser mon corps plus loin, et revenir dans un club majeur, et à terme peut-être découvrir le championnat américain qui serait un de mes rêves aussi. Je ne m’interdis rien.
Ça fait quand même du chemin depuis le centre de formation du Stade rennais.
Si tu savais… Les gens vont retenir que je suis allé à Lyon par exemple. Mais avant d’arriver à Lyon, s’ils savaient comment j’ai galéré pour arriver simplement à Laval, comment j’ai mis 3 ans à revenir à 100% de mes moyens après ma blessure à Valenciennes. C’était une route infernale. Aujourd’hui je suis au Legia Varsovie. Je ne peux pas être plus fier de ma carrière.
Propos recueillis par Thomas Rassouli
Crédit photo : Mateusz Kostrzewa / Legia.dom
Vos réactions (7 commentaires)
Frangeul Claude
2 décembre 2022 à 14h42Bravo, belle carrière, du courage et de l’abnégation !
Douddha love SRFC
2 décembre 2022 à 15h11Merci super article !!
Comme quoi être footballeur c’est pas de la tarte. Malgré la paye. Ça se mérite.
Marcel Loncle
2 décembre 2022 à 16h17Merci Thomas ! Article vraiment très intéressant.
Noguellou
2 décembre 2022 à 18h16Une belle personne. Du courage, Un témoignage intéressant sur le déroulement d’une carrière de footballeur professionnel avec ses aléas et ses réussites. A faire lire aux jeunes qui s’engagent dans ce « métier ». Un exemple qui donne à réfléchir. Un esprit dénué de rancune qui a su tirer le meilleur de ses échecs. Bravo.
CondateFan
2 décembre 2022 à 19h27Contrairement à ce qu’on pourrait penser, accéder au monde professionnel et faire carrière dans le foutebol c’est pas exactement la vie en Rose.
Mbo
3 décembre 2022 à 11h47Super Article !
J’aime ces articles qui montre la vraie vie des footballeurs ! Loin d’être un long fleuve tranquille ! Chapeau !
Plaisir aussi de constater l’amour du maillot Rouge et Noir, à jamais !
Damien Coat
17 février 2023 à 19h54Je me rappelle un peu de lui à Lorient puis Lyon quand on a un peu de talent de confiance et d’opiniâtreté ça paye j’espère qu’il reviendra dans un bon club français Breton si possible ?