ENTRETIEN - Jérémy Sauffisseau : « La difficulté du Cécifoot, c’est de savoir trier les informations »
Publié le 20 janvier 2022 à 07h00 parEntraîneur des gardiens au sein des catégories jeunes du Stade rennais, Jérémy Sauffisseau est également gardien de but de Cécifoot, et sort avec l’Equipe de France des Jeux Paralympiques de Tokyo. Pour Stade rennais Online, il revient sur cette double casquette. Entretien.
Tu es arrivé au Stade rennais en 2020, comment cela s’est fait ?
Complètement par hasard. Il y a trois ans, avec Christophe Revel (ancien entraîneur gardiens du SRFC, ndlr) on a monté la Roazhon Goal Academy. Lui est très vite parti sur d’autres projets professionnels, et le nombre de gardiens grandissant, j’avais besoin d’encadrants. Christophe m’a mis en relation avec Jérôme Hiaumet (entraîneur gardiens réserve au SRFC, ndlr), qui lui cherchait quelqu’un ici. Ça a tout de suite matché.
Quel est ton rôle au Stade rennais ?
J’entraîne les gardiens à l’école de foot, et à la préformation, soit entre 10 et 15 ans. De 10 à 13 ans, c’est moi qui m’occupe des gardiens. Pour la préformation, les 14-15 ans, j’aide Simon Pouplin.
On connait la difficulté du centre de formation, n’est-ce pas différent pour les gardiens ?
Forcément, il peut y avoir un parcours un peu différent. Nous, de par nos attentes au Stade rennais, on veut des gardiens qui soient joueurs. Finalement ce sont presque des joueurs de champ, avec des aptitudes supplémentaires. Le parcours reste le parcours classique d’un joueur au centre, même s’il y a des adaptations ensuite. Entre nous entraîneurs de gardiens, on a définit des critères nécessaires pour les gardiens qu’on souhaite avoir au sein du club. A partir de ça, on axe le travail, le recrutement et le développement.
N’y a t-il pas davantage la notion de concurrence à gérer compte tenu de la spécificité de ce poste ?
Pendant un match, un gardien n’est pas remplacé. Il peut y avoir un titulaire et un remplaçant, après ça peut être modifié au fur et à mesure du temps. Dans notre cursus de formation, on souhaite que les gardiens jouent. On ne va empiler les gardiens, et en avoir un qui va faire 10 matchs sur 3 ans, ce n’est pas l’objectif. Dans un cursus, il faut qu’il y ait du temps de jeu pour avancer et progresser. Le but est d’avoir des rotations et de les faire avancer, qu’ils aillent tous dans le même sens. C’est un poste particulier, souvent la maturité peut arriver plus tard.
Il y a aussi un rapport à la hiérarchie très différent. Comment arrivez-vous à inculquer ça dès le plus jeune âge ?
Chez les plus petits, on ne met pas de hiérarchie de gardiens. Ils ont tous la même place, globalement tous le même temps de jeu. On ne veut pas hiérarchiser, ils ont leurs qualités et leurs défauts, et ont besoin d’avancer. L’entraînement général ou spécifique, c’est bien, mais il faut aussi qu’ils puissent le faire sur des matchs. La hiérarchie va arriver avec les 16-17 ans Nationaux, mais dans tous les cas, les gardiens en formation ont tous du temps de jeu. Les performances vont orienter les choses, il y a évidemment cette notion de concurrence, mais ils savent qu’il y aura du temps de jeu quand même. Car on est en formation, et pour se former, si on ne pratique pas, on ne peut pas.
« En France, personne ne vit du Cécifoot »
Comment en es-tu arrivé à pratiquer le Cécifoot, depuis 2010 ?
Toujours pareil, par hasard ! J’ai toujours joué au foot à 11, et mes études en BTS m’ont amené à faire une alternance à Bordeaux. Je ne connaissais personne là-bas, je me suis mis à faire du soccer dans une Ligue. L’équipe de Cécifoot de Bordeaux s’entraînait là-bas. Lors d’une exhibition, j’ai pu découvrir la discipline. Quelques semaines plus tard, le coach cherchait un gardien. On m’a demandé si ça m’intéressait, j’y suis allé et j’ai tout de suite accroché.
Sur le terrain, tu es donc le seul voyant.
Exactement, sur le terrain tous les joueurs sont déficients visuels. Au Cécifoot, il y a deux catégories : les B1 qui sont non-voyants, dans la catégorie où je joue, avec bandeaux et ballon sonore, et les B2-B3, les malvoyants ou très mal-voyants, comme du futsal avec un ballon contrasté par rapport au sol. Sur la B1, seul le gardien est voyant. Le terrain de Cécifoot est divisé en 3 zones : défensive où je peux intervenir en communiquant avec mes partenaires, la médiane où c’est le coach qui communique, et l’offensive où un guide derrière le but va communiquer avec les attaquants. C’est-à-dire que lorsque je donne une information à mon défenseur, il y a quelqu’un derrière moi qui donne des informations à son attaquant. La difficulté, c’est de savoir trier les informations, puisque tout est à l’écoute. C’est très énergivore, surtout quand on n’a pas l’habitude, et ça demande une concentration extrême. Par exemple, imaginons qu’il y a plusieurs discussions dans une pièce, les joueurs vont réussir à écouter ce qu’ils veulent écouter. Pour nous, c’est difficilement compréhensible, car on compense systématiquement avec la vue.
As-tu dû adapter ta communication ?
Bien sûr. Quand j’ai commencé, je me suis vite mis en situation. Sur les temps de pause, on s’exerçait, pour comprendre. Si tu donnes une information et que ce n’est pas réalisable, parfois c’est difficile à comprendre. Quand tu te mets en situation, tu comprends. J’ai voulu me rendre compte des éléments pour pouvoir m’adapter. Ensuite, il y a forcément les échanges avec les partenaires, qui ont chacun leur sensibilité, leur niveau, et on adapte la communication par rapport à ça. Certains ont besoin de plus de communication, d’autres moins. La connaissance de l’autre est encore plus importante. Au foot à 11, si tu ne connais pas ton coéquipier en dehors du terrain, ça va t’enlever des billes aussi. Même sans s’apprécier d’ailleurs, il faut savoir se dire les choses de la bonne façon, ça reste important. J’ai aussi eu la chance d’arriver dans une équipe de Bordeaux avec des joueurs très expérimentés, et d’un niveau très élevé. Il y avait le capitaine de l’Equipe de France, un de ses meilleurs joueurs aussi.
Comment accèdes-tu à l’Equipe de France ?
Directement, car le coach de Bordeaux était le sélectionneur de l’Equipe de France, et le gardien de Bordeaux le gardien de la sélection. On a commencé ensemble avec Jonathan Grangier, mon concurrent avec qui je m’entendais très bien. On se tirait tous les deux vers le haut.
Que retires-tu de ces années en Equipe de France ?
Il y a eu de belles aventures humaines et sportives : les jeux mondiaux IBSA en 2011, les championnats d’Europe en 2011 un peu frustrants car je n’ai presque pas joué. C’est pour ça que j’insiste sur l’état d’esprit avec l’autre gardien. Le fait que la concurrence soit saine, c’est primordial. Je le poussais à l’entraînement à performer, et il savait que si il ne l’était pas, je pouvais prendre sa place, mais qu’il m’aurait poussé derrière. Ça fait une émulation, et ça nous a aussi permis de performer. Je n’ai pas été retenu pour les Jeux Paralympiques 2012, mais j’ai été les voir à Londres, et je me suis retrouvé à commenter la finale sur France O. A partir de 2018, il y a eu beaucoup de changements à la Fédération, une nouvelle dynamique. On est partis aux championnats du monde 2018 sans préparation, ce qui a abouti à une contreperformance. L’objectif en 2019 était le championnat d’Europe, où l’on a atteint la finale synonyme de qualification pour les Jeux Paralympiques de Tokyo.
On imagine que le résultat obtenu (dernière place au classement) à ces Jeux Paralympiques de Tokyo vous a déçu ?
Forcément oui. Après ça s’analyse, le covid n’a pas aidé, le report non plus. Quand tu te prépares pour un objectif avec une certaine date et qu’on te dit que ce ne sera pas cette date, c’est dur. Après l’annonce du report des Jeux, pendant 2-3 semaines, je n’ai rien fait. Pas d’envie, pas de motivation. L’objectif fixé depuis 3-4 ans, on te l’enlève. Après, on se remet au travail. La préparation a été compliquée, avec beaucoup moins de matchs amicaux que prévu, presque uniquement contre l’Espagne. On avait une idée de notre niveau européen, mais pas international. Le niveau européen est moins élevé que le niveau mondial. On est arrivés avec des éléments biaisés. Ça nous a surpris par rapport à ça. On avait eu une alerte lors d’un tournoi à Tokyo au mois de mai, puis ensuite aux Jeux avec des conditions compliquées, même si ce sont les mêmes pour tout le monde. Ça reste une aventure humaine extraordinaire.
Quels sont les rapports de la Fédération Française Handisport avec la FFF ?
A l’heure actuelle, quasiment aucun. Il y a eu des conventions signées pendant plusieurs années, ils nous fournissaient les équipements pour les compétitions de référence. Depuis de nombreuses années, il y a eu des tractations pour un rapprochement du Cécifoot avec la FFF. La FFH souhaite globalement que la FFF prenne tous les football, y compris le foot-fauteuil.
Peut-on vivre du Céci-foot ?
Malheureusement non. En France, personne ne vit du Cécifoot. Pendant des années, il y avait un centre technique avec un partenaire, où ils étaient salariés et détachés pour s’entraîner au quotidien, donc quasiment professionnels avec des missions à côté. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, tout le monde travaille à côté. C’est l’avantage et l’inconvénient d’être dans un pays développé. L’avantage c’est qu’ils sont tous intégrés dans la société, ils sont avocats, kiné ou informaticiens. C’est super, mais c’est aussi un frein car ils ont aussi des contraintes liées à cela, qui font qu’on ne peut pas s’entraîner ou voyager aussi souvent. On arrive peut-être à nos limites sportives car on ne peut pas être professionnels en France. Au Maroc par exemple, pendant 6 mois ils ont été détachés à ne faire que du Cécifoot. Aujourd’hui c’est compliqué de le faire en France.
Au Stade rennais, vous avez récemment reçu la pongiste Thu Kamkasomphou, médaillée à plusieurs reprises aux Paralympiques. Sensibiliser les jeunes au handicap, c’est important pour le club ?
Oui, c’est très important, mais c’est d’abord une athlète. Ce n’est pas une personne en situation de handicap qui fait du sport. C’est une athlète qui a une différence. La nuance est très importante. Quand on voit son palmarès, la rigueur qu’elle s’exige, c’est vraiment une athlète. Son parcours force le respect car elle performe dans sa discipline, c’est ça le message.
Parles-tu de ton expérience de Cécifoot avec les jeunes du club ?
Oui, on en parle de temps en temps. Ça me sert pour mettre des choses en place par rapport à du travail les yeux bandés, ou ce genre d’exercices. Par le passé, on a participé à des sensibilisations de jeunes ou même de pros dans des clubs. Ce qui est intéressant avec un joueur professionnel, c’est que quand on le met avec un ballon dans les pieds et le bandeau, il s’en sort car il est habile techniquement, qu’il a l’habitude de manier le ballon. Mais quand on lui enlève le ballon et qu’il doit se déplacer, là c’est compliqué et il se rend compte de l’adaptation qu’il faut avoir.
Tu viens de jouer les Jeux Paralympiques, quels sont tes objectifs ?
Aujourd’hui je suis plutôt dans l’optique du championnat de France, avec Mérignac. Je ne suis pas sûr de repartir sur une dynamique paralympique pour les Jeux à Paris. Je me laisse le temps de la réflexion, mais je suis pour le moment dans l’optique de prendre du plaisir en championnat, et on verra par la suite.
Vos réactions (1 commentaire)
CondateFan
20 janvier 2022 à 09h50Voilà en tout cas un article qui pose un autre regard sur le sport et une autre vision du football.
Alors on évitera les blagues stupides du style : les meilleurs joueurs de ceci foot peuvent-ils participer à la Canne ?
Et je ne veux surtout pas lire sur ce site un truc du genre, oui, nan mais techniquement, tu verrais les passes à l’aveugle que ces joueurs font, impressionnant.
Alors plutôt que ricaner bêtement, allez plutôt essayer, vous autres, de jouer au ballon avec un bandeau. Et même avec une clochette dans la gonfle, ça demande une concentration énorme.
Tout comme se promener en ville et tenter d’eviter le mobilier urbain. Mal foutu et mal pensé dans la plupart des villes et des commerces ainsi que les lieux de socialisation.