Stéphane Grégoire : « Le Stade Rennais, c’est mon club »
Publié le 24 janvier 2012 à 21h24 parInterview, 2ème partie. Deuxième et dernière partie de notre entretien avec Stéphane Grégoire, capitaine emblématique du Stade Rennais de Paul Le Guen. Un entraîneur qu'il soutiendra contre le vent des critiques. Il revient également pour nous sur la confrontation face à la Juventus Turin de Zinedine Zidane, sa relation avec Christian Gourcuff, sa vision et les liens qui l'unissent au Stade Rennais.
SRO : De tous les entraîneurs que vous avez connu au Stade Rennais (Guy David, Paul Le Guen et Christian Gourcuff, ndlr). Est-ce qu’il y en a un qui sortait un peu de l’ordinaire, un avec qui vous aviez des relations différentes ?
- Stéphane Grégoire : « J’ai eu Paul Le Guen pendant trois ans, donc plus d’affinités avec lui. Avec Christian Gourcuff, cela ne s’est pas forcément "bien passé". Dès sa prise de fonction, on lui a rappelé que j’avais ouvertement pris la défense de Paul Le Guen, car j’avais trouvé dommage de l’évincer quelques mois plus tôt. Christian Gourcuff est donc arrivé avec certains a priori sur moi. Il m’a clairement dit que je ne ferais pas fait partie des plans de l’équipe. J’ai accepté, en lui disant que je m’entraînerai sérieusement. Je suis revenu en jeu, car certains joueurs avaient milité pour mon retour dans le groupe. Derrière, j’ai eu la chance que les résultats reviennent, ça m’a bien aidé à rester dans l’équipe. Sinon, à part dans la communication, j’ai beaucoup évolué avec Christian Gourcuff, notamment dans l’aspect technique. Il a des qualités et des défauts, mais, par contre, on ne peut pas lui reprocher grand chose sur son travail. À sa façon, c’est un entraîneur qui m’a marqué durant ma carrière. »
SRO : Vous pensez que si on lui avait laissé le temps, c’est quelqu’un qui aurait pu réussir à Rennes ?
- S.G. : « Je ne pense pas. Et avant qu’il parte, je le lui avais dit. Il avait pourtant une façon de faire intéressante. Mais le Stade Rennais et Lorient, ce sont deux contextes différents. D’ailleurs, le concernant, je tiens à le remercier pour m’avoir appelé dans le groupe pour mon dernier match à Rennes. Il tenait absolument à ce que je fasse partie des seize, alors que je ne le voulais pas, sachant que je n’étais pas bien mentalement. J’avais demandé à être dans les tribunes, car il y avait eu des petites choses que je n’avais pas apprécié. Et sans Christian Gourcuff, je n’aurais pas vécu l’hommage que les supporters m’ont offert sur ce match. »
SRO : Quand on repense à la saison 2000-2001 (celle précédant l’arrivée de Gourcuff), ce n’était pas compliqué pour le vestiaire de vivre avec cette atmosphère qui régnait autour de Paul Le Guen ?
- S.G. : « L’avantage dans le vestiaire, c’est que l’on était soudé. On était quatre, cinq joueurs derrière lui (Dominique Arribagé, Olivier Echouafni, Bernard Lama et donc Stéphane Grégoire, ndlr). De toute façon, c’était Paul et nous. C’était au groupe de faire aussi bouger les choses, de faire plus pour avoir de bons résultats. Mais ce n’était pas évident, c’était une saison un peu malsaine. Des joueurs arrivaient et on ne comprenait pas trop (sic). Mais quand on est joueur, il faut jouer, être bon et la fermer. »
SRO : Vous n’avez jamais craint pour votre image au niveau de la direction, en prenant le parti de Paul Le Guen ?
- S.G. : « J’ai toujours fonctionné comme ça. Je n’ai pas oublié que Paul Le Guen m’avait donné la responsabilité de capitaine, alors que je n’étais pas grand chose par rapport à d’autres joueurs de l’effectif. Je faisais mon travail, je respectais ma hiérarchie et les supporters, avec qui ça se passait plutôt bien. Après, pour la direction, il est possible que je passais pour un joueur chiant, qui parlait trop, qui pouvait aussi un peu gêner... J’avais une ligne de conduite, je l’ai conservée. Comme avec Christian Gourcuff, avec qui je n’étais pas d’accord sur certains points. Mais j’ai toujours été honnête avec lui. Jamais je ne lui aurais mis des bâtons dans les roues. Je sais, encore plus aujourd’hui, que le métier d’entraîneur n’est pas simple. »
SRO : Lorsque vous relatez ces faits, on a un peu l’impression que ces choses-là se sont perdus au fil des années dans le football moderne. C’est votre sentiment ?
- S.G. : « Effectivement. C’est un peu pour ça que je suis sorti du football professionnel. Ce sont des valeurs qui se sont perdues. Parfois, je me dis qu’ils (les joueurs professionnels, ndlr) n’ont pas pigé le truc. L’individualité prime aujourd’hui sur le collectif. Chaque joueur a son agent et tente de gagner sa vie le mieux possible. C’est peut-être pour cela que je n’ai pas fait une grosse carrière. Je me suis aperçu trop tard que ceux qui pensaient au club et à l’entraîneur n’était pas forcément ceux qui signaient les gros contrats. Les joueurs qui emmerdent les clubs pendant deux ou trois mois en ne venant pas s’entraîner, on leur donne un gros chèque lorsqu’ils débarquent dans un autre club. J’ai l’impression que l’on tourne un peu en rond, que l’on marche sur la tête. Sincèrement, j’ai parfois honte de dire que j’ai évolué dans ce milieu. Le plus marrant, c’est que je l’avais caché en retournant à la fac des sports. Sur les premiers jours, ils n’ont pas fait trop attention parce que je n’ai pas été un joueur très connu. Mais il y a un qui a découvert que j’avais été joueur professionnel. Ils se sont tous rués sur internet pour voir qui j’étais. Après, ils sont venus me demander "mais pourquoi tu ne nous l’a pas dit ?" Je leur ai répondu que c’était juste un passage de ma vie. »
SRO : Vous ne trouvez pas également que le football amateur est de plus en touché par ce qui se passe chez les professionnels ?
- S.G. : « Je suis d’accord. Et c’est ce que je regrette en amateur, car on voit ce genre de chose jusqu’en Division d’honneur. Même moi, à Saran, je reçois des lettres de joueurs qui veulent venir jouer pour de l’argent. Chez nous, en tout cas, nous ne sommes pas dans cet esprit-là. Les joueurs gagnent juste quelque chose pour rembourser l’essence, pas plus, soit environ cinquante, cent euros selon les déplacements. À mon époque, tous les joueurs amateurs avaient un travail, alors qu’aujourd’hui en CFA ils ne travaillent pas forcément à côté. Ils sont capables, sans problème, de jouer le mercredi en coupe et le samedi en championnat. Lorsque je repense à mes débuts à Thouars, c’était impossible pour nous. »
SRO : Et au rayon des bons moments, qu’est-ce que vous conservez de votre passage au Stade Rennais ?
- S.G. : « J’ai vraiment passé cinq bonnes années à Rennes, comme ce fut le cas aussi à Ajaccio et Dijon par la suite. Je me souviens bien de mon doublé contre Metz (2-2, saison 1997-1998). Ça m’a fait plaisir l’autre jour que mon fils retrouve ces deux buts sur internet. Je ne les avais jamais revus, à l’instar de mes autres buts d’ailleurs. On me parle aussi souvent du but que j’ai inscrit à Marseille (0-1, 1997-1998). Mais ce qui est bien, c’est que je reçois des messages de sympathie de la part des Rennais, car mine de rien, ils sont présents dans toute la France. J’en rencontre souvent à Orléans, ils viennent voir les matchs de l’USM Saran et me dire bonjour. C’est toujours de bons moments. Le Stade Rennais, c’est le club qui m’a fait découvrir la première division et qui m’a fait confiance. Je ne retiens que les bons souvenirs de mon passage dans ce club. »
SRO : Et si je vous parle de la Juventus Turin, finale de la Coupe Intertoto 1999 ?
- S.G. : « Le plus dommage ce jour-là, c’est de ne pas avoir eu un stade de trente mille places comme aujourd’hui. Cela reste une double confrontation particulière, je me rappelle avoir fait un gros match à l’aller, en tirant notamment sur la transversale. Je me souviens également que René Girard (alors adjoint de Roger Lemerre en équipe de France, ndlr) était venu me serrer la main et me féliciter pour ma prestation. Au retour, on avait fait un bon match. Mais j’ai toujours ce regret d’avoir évolué devant dix ou douze mille personnes à domicile. J’ai souvent joué à la Route de Lorient avec un stade en rénovation. C’est un de mes seuls souvenirs négatifs, avec la pelouse. J’ai des souvenirs de matchs où je terminais complètement lessivé à cause de son mauvais état. »
SRO : Aujourd’hui, vous ne vous dites pas qu’il y a quand même la place de passer contre la Juventus Turin ? On se souvient de votre première demi-heure en Italie où vous aviez eu l’opportunité de faire un joli coup ?
- S.G. : « Tout à fait ! Je me souviens de ce match aller où l’équipe avait été au niveau. Et au final, on perd ce match à l’italienne (sic) avec des buts de... Del Piero ? (on lui fait remarquer que c’est en fait un doublé de Pippo Inzaghi, ndlr) En plus, le mec il tacle on ne sait pas comment et il marque. Le plus rageant, c’est que l’on avait fait un excellent match. Le retour, ce fut un peu pareil ! J’ai eu le même sentiment quelques années plus tard contre Aston Villa. On ne doit jamais perdre là-bas, on prend un but assez tôt (Dion Dublin au bout de cinq minutes de jeu, ndlr) et on ne parvient pas à égaliser et à se qualifier avec deux excellents matchs. Ce sont de bons et mauvais souvenirs en même temps. »
SRO : Pourquoi, selon vous, avez-vous tant marqué le public de la Route de Lorient, au point que, dix ans après votre départ, votre nom reste gravé dans les mémoires ?
- S.G. : (un peu gêné) « Je ne sais pas si j’ai vraiment marqué ce club. Je n’étais pourtant pas le meilleur joueur, le plus technique... Mais si vous me le dites. Mais maintenant, j’ai toujours été honnête avec ce club. Je ne sais pas. »
SRO : On dirait que ça vous étonne et cela vous met un peu mal à l’aise ?
- S.G. : « Il y a quand même de grands joueurs qui sont passés à Rennes, bien meilleurs que moi. Peut-être que les gens retiennent que je suis resté cinq ans, que j’ai été capitaine de cette équipe... Ça m’étonne un peu. Mais c’est vrai que partout où je suis passé, j’ai eu par la suite de bons retours de la part des supporters rennais qui avaient une bonne image de moi. Quand on termine sa carrière, le fait de retourner la tête haute dans ses anciens clubs et d’être bien reçu est une satisfaction. Dernièrement, ça m’a permis de passer une journée avec les handicapés, dont je m’occupe, à Dijon. Comme je l’ai fait aussi à Rennes l’an passé avec un groupe de Saran, grâce à Patrick Rampillon et Georges Bartel (directeur des finances du club, ndlr). On avait été très bien reçus, ils avaient ouvert les portes des vestiaires quelques heures avant un match. Les gens que j’avais accompagné m’en reparlent encore. »
SRO : Est-ce que vous vous retrouvez dans un joueur de l’effectif première du Stade Rennais ?
- S.G. : (rires) « On me dit souvent "Tiens, il y a un joueur qui te ressemble un peu, qui a le même état d’esprit que toi, c’est Romain Danzé". Après, je ne le connais pas beaucoup, je l’ai vu jouer quelques fois, c’est vraiment un joueur qui a un bon esprit, polyvalent. Un peu comme moi, ce n’est pas le meilleur joueur, mais il est toujours présent. En parlant de lui, ça me rappelle un peu ce que l’on me disait quand j’étais joueur "Tu n’es pas le meilleur mais au final on sait que l’on pourra compter sur toi". »
SRO : Votre polyvalence vous a t-elle servi dans votre carrière ?
- S.G. : « C’est plutôt le contraire. Il faut savoir que j’ai pris plus de plaisir dans mes dernières années en jouant en défense centrale. C’est le poste auquel j’aurais dû évoluer plus rapidement. Je me sentais à l’aise dans cette position. Pour la polyvalence, les entraîneurs s’en servent et c’est très complexe ensuite pour jouer de manière fixe à un poste. Je suis certain que le public rennais faisait des paris me concernant avant les matchs pour savoir à quel poste je serai titularisé. J’ai joué partout à Rennes, sauf dans les buts et en charnière centrale. Peut-être en amical, mais je ne suis pas sûr. On en parle peu, mais j’étais l’un des meilleurs sur les tests d’endurance. En revanche, il y a quelque chose qu’il faudra rectifier car j’ai vu sur un site que mon point faible était la vitesse. Ça me fait toujours sourire parce qu’il faut savoir que je finissais souvent à égalité avec Jean-Claude Darcheville sur ce type de tests. Je sais que ça peut surprendre les gens. Après, il y a aussi vitesse et vitesse. J’étais moins tonique que certains, mais sur la longueur et les premiers appuis, j’étais l’un des meilleurs. »
SRO : Quel est votre regard sur la trajectoire du Stade Rennais depuis une quinzaine d’années, notamment depuis l’arrivée de la famille Pinault ?
- S.G. : « François Pinault a considérablement fait évoluer le club, que ce soit sportivement et médiatiquement, ce qui est très bien. Je me rappelle que, quand je suis parti de Rennes en 2002, je disais que le Stade Rennais deviendrait un bon club à partir du moment où il n’y aura pas quinze arrivées et quinze départs dans une saison. Aujourd’hui, je regarde ça de moins près. Car, sur mes trois fils, j’ai un supporter de Lyon, un de Lille et un d’Auxerre. C’est étonnant parce que j’en ai quand même un qui est né à Rennes. En conséquence, je suis le club de loin. On voit quand même que le Stade Rennais fait partie des huit premiers clubs de France, mais on ne sait jamais où les placer au final. De l’extérieur, on se demande si le Stade Rennais sera capable d’être sur le podium sur la durée. Si tous les ans, ils parviennent à accrocher l’Europe, ils progresseront. C’est certain. »
SRO : Pour finir, un petit mot pour les lecteurs de Stade Rennais Online et les supporters du club en général ?
- S.G. : « J’ai toujours tenté de retransmettre sur le terrain ce que j’étais finalement au quotidien. J’espère que c’est ce qu’ils retiendront. J’ai pris en tout cas beaucoup de plaisir avec eux, j’ai eu des sentiments divers et forts sous le maillot du Stade Rennais. Pour moi, au niveau professionnel, le Stade Rennais c’est mon club. Et ça restera le Stade Rennais. Parce que j’ai vécu tellement de choses : des joies, des déceptions... Je resterai quoi qu’il arrive un supporter de Rennes. Je retiens toujours cette banderole que l’on m’avait confectionné pour mon dernier match : "Stéphane Grégoire, à jamais..." Et en plus, j’avais vraiment été sympa avec vous, car j’avais marqué un but contre mon camp avec Ajaccio en Coupe de France (3-0, trente-deuxième de finale en janvier 2003). Et je m’étais dit à ce moment-là que j’avais marqué mon dernier but dans ce stade et j’étais content (rires). J’aimerai bien y retourner plus souvent, mais ce n’est pas proche de chez moi. Et avec mes activités, je n’ai pas trop le temps. »
- Source photo : srfc.frenchwill.fr
Vos réactions (6 commentaires)
Stéphane Grégoire ,un grand monsieur et un fameux capitaine ,un exemple pour tous !
Interview très touchante. Ce mec est vraiment un type bien, avec des vraies valeurs, quasiment une exception dans le milieu du foot pro.
Merci M. Grégoire, nous sommes fiers de ce que vous avez apporté à notre club.
mururoa
25 janvier 2012 à 07h52Merci pour cet entretien avec un joueur qui - pour une fois - honore le foot professionnel. Il m’a donné de surcroît un éclairage intéressant sur la personnalité de Christian Gourcuff. Une certitude, vous êtes et de loin le meilleur site sur le stade rennais. Vos fiches « Un ancien au hasard » sont très intéressantes pour la mémoire du club. Ce que les autres sites dans leur puérilité exaspérante ignorent.
Greg
25 janvier 2012 à 09h43Pour ma part je n’ai jamais oublié Stéphane Grégoire et ça restera le joueur emblématique du début de l’ère Pinault. Je retiens un match à Lyon, en 99 je crois, où Rennes avait gagné 2-1, avec un très gros match de Stéphane. On parle d’une absence d’identité dans le foot aujourd’hui, mais Stéphane c’est Rennes.
battjack
25 janvier 2012 à 18h14Merci a BORIS pour ce retour sur un joueur emblématique du stade rennais.
Stephane Gregoire n’ etait pas le joueur le plus talentueux,mais il a toujours
respecté le public et la maillot du Stade Rennais.
Humble et modeste c ’etait un joueur exemplaire et un meneur qui manque
actuellement a notre equipe.
Un grand joueur c’ est surtout un grand Homme
fuf
27 janvier 2012 à 19h12très bel article ! Touchant ! J’ai un souvenir avec ce joueur lors d’un LYON RENNES. Christophe REVAULT se blesse et Nicolas GOUSSE devient gardien. sur le corner qui suit, but de LYOn et on voit sur les images de Canal, notre capitaine interpellé de façon très directive l’arbitre pour lui demander de ne pas laisser trainer le match qui en est déjà aux arrets de jeu. RENNES gagnera 2-1. Cela reste un des plus beaux moments que j’ai vécu avec le Stade.
merci Boris pour ce bel article et merci Stéphane pour avoir apporté tant au stade, un joueur courageux, bosogneux.
Mais Stéphane, si tu passes par ici, il y a une promesse que tu as faite en 200 et que tu n’as pas pas encore tenu ! J’ai un article de France Foot de 2000 où il y ai question des 100 hommes qui feront le Stade. (j’y ai découvert un certain j. BRIAND qui avait 15 ans) Et il y a un certain S. G nous indique qu’il va s’investir après sa carrière de joueur dans le staff... On attend cette promesse !