ENTRETIEN / Maxime Paysant : « Un footballeur de haut niveau, c’est comme une Formule 1 »
Publié le 31 mars 2022 à 10h04 parPassé dans toutes les catégories jeunes au niveau national de football et notamment à l’Olympique Lyonnais, Maxime Paysant a embrassé il y a une dizaine d’années la profession d’ostéopathe, qu’il pratique et enseigne. Benjamin Bourigeaud, Flavien Tait ou Clément Grenier comptent notamment parmi les nombreux joueurs professionnels composant la patientèle de ce passionné de football, dont la profession est de plus en plus médiatisée. Mais quelle place tient-elle vraiment ? SRO a voulu en savoir plus.
Maxime, peux-tu nous présenter ta profession ?
Je suis ostéopathe exclusif depuis 2011, j’ai fait une école en six ans pour faire ce métier, dès la sortie du BAC. Je suis également aujourd’hui enseignant dans cette école. J’ai fait toutes mes gammes en sport-études, à l’Olympique Lyonnais puis dans la région lyonnaise, et j’avais été amené à consulter un ostéopathe à l’époque. Ça m’a toujours fasciné, cette capacité à m’aider par rapport à mes douleurs.
Quelle différence avec un kinésithérapeute ?
La durée d’études est plus courte en kiné, et le cursus différent avec un passage en prépa kiné ou en année de médecine. En ostéopathie, c’est une école privée post-BAC. Dans la prise en charge, il y a des différences, mais ce sont deux métiers complémentaires. Pour faire simple, l’ostéopathe va redonner du mouvement à n’importe quelle structure du corps humain en prenant en compte sa globalité, avec des manipulations et autres techniques. Le kiné va plutôt travailler sur des notions de rééducation, des prises en charge avec massages ou appareils, pour te permettre de retrouver un fonctionnement normal de la structure lésée. Une difficulté peut être de vouloir tout faire. Être ostéopathe exclusif me permet de rester dans mon champ de travail, savoir ce que je peux faire avec mon métier, et après de réorienter ou conseiller le patient à d’autres professions pour que la prise en charge soit la plus complète possible.
Ostéopathe, ce n’est donc pas kiné, ni préparateur physique…
Non pas du tout. J’ai des notions dans plein de choses, mais quand ce n’est pas mon métier je vais conseiller d’aller voir un spécialiste là-dessus. Faire tout amène à être polyvalent, mais pas à exceller dans un domaine particulier. J’essaye de faire attention à ça pour être bon, et optimal dans ma prise en charge.
Tu interviens aujourd’hui beaucoup pour des footballeurs, notamment au Stade rennais. Quelles différences avec un patient lambda ?
Le sportif de haut niveau, son corps c’est son outil de travail. S’il veut faire carrière et durer, il va devoir prendre soin de son corps, et en apprendre tous les rouages. Quand un joueur arrive dans un groupe pro, maintenant parfois dès 16 ans, il n’a pas toujours la connaissance de son organisme, savoir ce qu’il peut faire ou non sans que ça interfère sur sa performance. Un sportif de haut niveau, c’est comme une Formule 1. Si tu veux en tirer tous les bénéfices, il faut tout le temps vérifier les petits réglages, pour pouvoir l’utiliser à 100%. Si tu roules tout le temps les pneus dégonflés, ça va t’user une autre fonction. Si tu roules sans huile, ça va t’abimer le moteur, et ainsi de suite. Quand tu vas avoir des voyants qui s’allument, ça sera déjà trop tard, et c’est là où on perd du temps. Ça demandera plus de travail pour récupérer.
Il s’agit finalement d’entretien du sportif, plutôt qu’intervenir en soins post-blessures…
Exactement. J’aime mieux travailler en prévention, c’est mieux pour tout le monde, car ça veut dire que tu restes dans du confort. Dans l’inconfort, tu dois réagir par rapport à un problème. Dans de l’entretien, tu as juste des petits réglages à faire pour garder les pleins pouvoirs de ton organisme.
Quelles différences, dans ton travail, entre un footballeur et un sportif de haut niveau d’une autre discipline ?
L’utilisation du corps va être différente dans le haut et le bas du corps. Ça va dépendre du poste du sportif dans son sport. Un défenseur ou un latéral n’ont pas la même utilisation de leur corps, que ce soit dans la surface couverte sur le terrain, ou pour les duels. Un attaquant et un milieu défensif n’ont pas le même fonctionnement du poste. C’est ça que j’aime. Chaque joueur a ses spécificités. Au même poste, on aura également des joueurs plus rapides ou plus physiques, ou plus endurants. On essaye de travailler sur la qualité de chacun.
« Quand les joueurs jouent et sont performants, j’ai tout gagné »
Concernant le Stade rennais, tu as travaillé avec Benjamin Bourigeaud et Flavien Tait notamment. Sur quoi travaille t-on avec un milieu de terrain ?
On vérifie toujours que chaque joueur puisse utiliser ses pleines capacités, la notion mécanique du corps. Le bas du corps chez un footballeur est très importante, que ce soit la mobilité des chevilles, genoux et bassin. Ensuite on va partir sur l’utilisation des bras, des chaines croisées entre le tronc, les épaules et le bassin par exemple. Il faut vérifier qu’il y ait un équilibre entre le contenant et le contenu, en gros le squelette et tout ce qui va être autour. On peut aussi vérifier chez les milieux relayeurs par exemple, que la sphère cardio-pulmonaire soit fonctionnelle, qu’au niveau digestif aucun pépin ne gêne, qu’au niveau du crâne tout fonctionne bien pour assurer un bon sommeil. On peut donc partir sur des choses bien plus poussées, permettant d’être précis dans la prise en charge. Lors de ma première séance avec un nouveau joueur, je fais un état des lieux global du corps entier. Je vais aussi prendre en compte son fonctionnement au quotidien, s’il va utiliser plus une zone qu’une autre, s’il est droitier ou gaucher… En plus de cela, je vais prendre en compte les besoins et envies du joueur. Quand je travaille depuis des années avec des joueurs, on est ensuite sur de l’entretien et des demandes précises.
Pourquoi les joueurs recourent-ils aujourd’hui davantage à des ostéopathes personnels, alors qu’il y en a souvent dans les staffs de leurs équipes ?
Les ostéopathes dans les staffs des équipes professionnelles n’ont pas forcément le temps de travailler de manière approfondie avec les 15 ou 20 joueurs de l’effectif, s’ils sont là une journée par semaine. Ce n’est pas de leur faute, ils ont souvent trop de joueurs et pas assez de temps. Ça va être une prise en charge symptomatique et locale. Quand je monte sur Rennes par exemple, je vais rester 2-3 jours sur place, et on va répartir la charge de travail du patient en prenant en compte l’environnement, le fonctionnement du club et du joueur. De plus, ils sont souvent ostéopathes et kiné en même temps, ce qui ne permet pas toujours d’approfondir. Il y a même des clubs sans ostéopathes.
La relation de confiance avec le joueur est-elle importante dans ton métier ?
Bien sûr, c’est aussi pour ça que c’est un kiff. Le foot a toujours été une passion, c’était important pour moi de continuer à travailler dans le monde du sport. On prend tellement de plaisir à prendre soin des joueurs, et voir que des joueurs te font confiance depuis des années, c’est ta récompense. Quand les joueurs jouent et sont performants, j’ai tout gagné. Je veux juste que les joueurs soient contents, sentent que tu apportes un truc en plus, et se sentent bien.
Penses-tu jouer aussi un rôle psychologique pour le joueur ?
Tu l’as forcément un minimum. Le psycho-émotionnel va interagir, et doit être équilibré avec le physique. Si dans ta tête tu n’es pas bien, au bout d’un moment tu ne seras pas bien dans ton corps, et inversement. Il faut trouver le juste milieu, et le fait de pouvoir travailler avec certains joueurs depuis un moment, il y a forcément un rôle de soutien, de rassurer. Quand j’explique ce que je trouve, ça permet de mettre un mot, un nom, une signification sur ce que ressent le joueur. Je pense que c’est une aide supplémentaire. Quand ils estiment avoir une gêne, un pépin, et que tu leur dis qu’ils peuvent reprendre sans soucis, c’est pareil. S’ils ont confiance en toi, ça va forcément les rassurer. Et inversement pour lui faire comprendre quand il faut reprendre doucement et ne pas y aller trop fort. Quand tu as une gêne, c’est important de bien la définir. Ensuite, tu mets en place des protocoles pour régler cette problématique et retrouver un fonctionnement normal. Mettre des mots sur un problème, le comprendre et en dessiner les contours, ça te permet de savoir quoi faire pour retrouver le terrain. C’est un travail d’équipe, je suis une aide, je ne suis pas la solution.
Benjamin Bourigeaud est très rarement blessé. Est-ce que ce n’est pas la meilleure promotion pour ton métier ?
C’est sûr que quand tu vois comme il est performant actuellement, c’est agréable. Mais je ne suis pas sur le terrain. Je suis une aide, une personne l’accompagnant dans sa profession pour qu’il soit performant. Mais s’il est performant, c’est grâce à lui. Ça en revient à ce qu’on disait, plus on va travailler dans la prévention, régulièrement, plus on va permettre au joueur d’utiliser ses pleines capacités. Tous les joueurs auraient besoin de travailler régulièrement avec quelqu’un. Il y a toujours des choses à travailler avec tout le monde, même quelqu’un qui n’a pas de douleur. Tout le monde a besoin d’une aide, et je ne parle pas que de ma profession. Le kiné a un rôle intéressant dans la récupération et la prévention, le préparateur physique aussi pour rester au top de ta forme, les préparateurs mentaux, les nutritionnistes, diététiciens, cuisiniers aussi. Il peut y avoir un staff vraiment complet pour rester au top de ta forme et être le plus performant possible.
« Le Stade rennais est l’un des clubs de Ligue 1 avec lequel j’ai la meilleure relation »
Comment se passe ta relation avec le SRFC ?
J’explique toujours au joueur que s’il a besoin que j’échange avec le club sur ce qu’on a mis en place, je le fais. Le Stade rennais est l’un des clubs de Ligue 1 avec lequel j’ai la meilleure relation. J’échange beaucoup avec le responsable des kinés. C’est génial car tu peux échanger et optimiser la prise en charge pluridisciplinaire pour que le joueur reste en forme ou retrouve son niveau, et puisse jouer.
Parmi les joueurs que tu suis, Clément Grenier a retrouvé un club après une longue période sans compétition. À ton niveau, c’est également un patient particulier à traiter ?
Quand tu es professionnel depuis des dizaines d’années et que tu te retrouves à ne pas avoir de club pendant une demi-saison, c’est compliqué. Il a eu le pseudo-avantage d’avoir pu s’entrainer avec la réserve de l’OL, et ne pas se retrouver tout seul à faire sa prépa physique. En tant qu’ostéopathe, il faut prendre en compte que quand le joueur n’a pas de compétition, plein de choses interagissent différemment, et dans l’utilisation du corps, plein de choses différent. C’est normal que le joueur puisse être moins bien ou avoir des zones qui tirent un peu plus. Tu es forcément moins stimulé quand tu n’as pas de club, de challenge. Je suis le premier heureux de le voir reprendre la compétition en club.
Ta profession est de plus en plus médiatisée, notamment via les réseaux sociaux, où plusieurs footballeurs publient des clichés de grosses ampoules provoquant des marques dans le dos. Peux-tu nous expliquer cette pratique ?
C’est de la « cupping therapy », ce qu’on appelle aussi les « ventouses ». Il y a deux façons de les utiliser, soit avec des ampoules en verre, soit en plastique. Pour que le verre pose, on enflamme un bout de tissu avec de l’alcool pour créer une dépression dans la ventouse et que lorsqu’elle est posée sur la peau, ça fasse une aspiration. Ça nécessite d’être très pointilleux sur l’hygiène. Avec du plastique, on fait ça avec un pistolet qui aspire et crée une dépression. Pour faire simple, le rôle d’aspiration va te permettre d’avoir un impact au niveau circulatoire pour essayer de refaire un appel de sang. Le fait d’aspirer, avec des ventouses qui marquent, ça veut dire qu’on a essayé de faire revenir le sang à la superficie, de refaire circuler le sang. Quand tu as des douleurs, souvent le sang va stagner autour d’une structure, et c’est comme si tu avais des toxines qui restaient au même endroit. Avec les ventouses, on essaye de relancer, de refaire circuler cette zone. Personnellement j’en utilise, mais pas systématiquement, et toujours en fin de séance. Je fais très attention car forcément le fait de refaire circuler va entrainer du bien-être, mais il peut ne pas durer dans le temps si tu ne travailles pas sur les structures qui en ont besoin avant. Je reste vigilant car cela peut être de la poudre aux yeux. Quand je les utilise, c’est en fin de séance, pour finaliser, bonifier mon travail, mais jamais en premier lieu, et je n’en mets pas de la tête aux pieds. Je reste localisé sur des zones pour être sur quelque chose de complémentaire. Actuellement, c’est vrai que ça devient à la mode alors que ça existe depuis un moment.
Une autre tendance fait son chemin, la cohérence cardiaque. Quel en est le principe ?
Ce sont des exercices de respiration, pour permettre de prendre le temps de bien respirer pour ressentir un bien-être, et utiliser la fonction de ton diaphragme, muscle respiratoire principal te permettant d’équilibrer les pressions entre ton abdomen et ton thorax. Cela permet que tout circule bien et que chacun respire de la bonne manière. C’est quelque chose de très intéressant, qui permet de revenir au calme.
Vos réactions (2 commentaires)
CondateFan
1er avril 2022 à 09h01En voilà un parcours atypique d’un jeune Paysant devenu ostéopathe exclusif pour continuer à evoluer dans son champ, de travail.
Avec pléthore de footballeurs professionnels qui se massent à ses pieds.
Pour une fois qu’on a affaire à un ostéopathe éthique.
zabou56
1er avril 2022 à 10h11Interview très intéressante et très instructive. Merci